PROLOGUE .
La Piété.
Du séjour bienheureux de la divinité
je descends dans ce lieu, par la grâce habité.
L'innocence s'y plaît, ma compagne éternelle,
et n'a point sous les cieux d'asile plus fidèle.
Ici, loin du tumulte, aux devoirs les plus saints
tout un peuple naissant est formé par mes mains.
Je nourris dans son cur la semence féconde
des vertus dont il doit sanctifier le monde.
Un roi qui me protége, un roi victorieux
a commis à mes soins ce dépôt précieux.
C'est lui qui rassembla ces colombes timides,
éparses en cent lieux, sans secours et sans guides.
Pour elles, à sa porte élevant ce palais,
il leur y fit trouver l'abondance et la paix.
Grand Dieu, que cet ouvrage ait place en ta mémoire.
Que tous les soins qu'il prend pour soutenir ta gloire
soient gravés de ta main au livre où sont écrits
les noms prédestinés des rois que tu chéris.
Tu m'écoutes. Ma voix ne t'est point étrangère:
je suis la Piété, cette fille si chère,
qui t'offre de ce roi les plus tendres soupirs.
Du feu de ton amour j'allume ses desirs.
Du zèle qui pour toi l'enflamme et le dévore
la chaleur se répand du couchant à l'aurore.
Tu le vois tous les jours, devant toi prosterné,
humilier ce front de splendeur couronné,
et confondant l'orgueil par d'augustes exemples,
baiser avec respect le pavé de tes
temples.
De ta gloire animé, lui seul de tant de rois
s'arme pour ta querelle, et combat pour tes droits.
Le perfide intérêt, l'aveugle jalousie
s'unissent contre toi pour l'affreuse hérésie;
la discorde en fureur frémit de toutes parts;
tout semble abandonner tes sacrés étendards
;
et l'enfer, couvrant tout de ses vapeurs funèbres,
sur les yeux les plus saints a jeté ses ténèbres.
Lui seul, invariable et fondé sur la foi,
ne cherche, ne regarde et n'écoute que toi;
et bravant du démon l'impuissant artifice,
de la religion soutient tout l'édifice.
Grand Dieu, juge ta cause, et déploie aujourd'hui
ce bras, ce même bras qui combattoit pour lui,
lorsque des nations à sa perte animées
le Rhin vit tant de fois disperser les armées.
Des mêmes ennemis je reconnois l'orgueil;
ils
viennent se briser contre le même écueil.
Déjà, rompant partout leurs plus fermes barrières,
du débris de leurs forts il couvre ses frontières.
Tu
lui donnes un fils prompt à le seconder,
qui sait combattre, plaire, obéir, commander;
un fils qui, comme lui, suivi de la victoire,
semble à gagner son cur borner toute sa gloire;
un fils à tous ses vux avec amour soumis,
l'éternel désespoir de tous ses ennemis.
Pareil à ces esprits que ta justice envoie,
quand son roi lui dit: Pars, il s'élance avec joie,
du tonnerre vengeur s'en va tout embraser,
et tranquille à ses pieds revient le déposer.
Mais tandis qu'un grand roi venge ainsi mes injures,
vous qui goûtez ici des délices si pures,
s'il permet à son cur un moment de repos,
à vos jeux innocents appelez ce héros.
Retracez-lui d'
Esther l'histoire glorieuse,
et sur l'impiété la foi victorieuse.
Et
vous, qui vous plaisez aux folles passions
qu'allument dans vos curs les
vaines fictions,
profanes amateurs de spectacles frivoles,
dont l'oreille
s'ennuie au son de mes paroles,
fuyez de mes plaisirs la sainte
austérité.
Tout respire ici Dieu, la paix, la vérité.
ACTE I , SCENE PREMIERE .
(le théâtre représente l'appartement d'Esther.)
Esther.
Est-ce toi, chère Élise? Ô jour trois fois heureux
!
Que béni soit le ciel qui te rend à mes vux,
toi qui de Benjamin comme
moi descendue,
fus de mes premiers ans la compagne assidue,
et qui d'un
même joug souffrant l'oppression,
m'aidois à soupirer les malheurs de
Sion.
Combien ce temps encore est cher à ma mémoire!
Mais toi, de ton
Esther ignorois-tu la gloire?
Depuis plus de six mois que je te fais
chercher,
quel climat, quel désert a donc pu te cacher?
Élise.
Au bruit de votre
mort justement éplorée,
du reste des humains je vivois séparée,
et de mes
tristes jours n'attendois que la fin,
quand tout à coup, madame, un prophète
divin:
C'est pleurer trop longtemps une mort qui t'abuse,
lève-toi, m'a-t-il dit, prends ton chemin vers Suse.
Là tu verras d'Esther la pompe
et les honneurs,
et sur le trône assis le sujet de tes pleurs.
Rassure,
ajouta-t-il, tes tribus alarmées,
Sion: le jour approche où le Dieu des
armées
va de son bras puissant faire éclater l'appui;
et le cri de son
peuple est monté jusqu'à lui.
il dit. Et moi, de joie et d'horreur
pénétrée,
je cours. De ce palais j'ai su trouver l'entrée.
Ô spectacle!
Ô triomphe admirable à mes yeux,
digne en effet du bras qui sauva nos aïeux
!
Le fier Assuérus couronne sa captive,
et le Persan superbe est aux pieds
d'une Juive.
Par quels secrets ressorts, par quel enchaînement
le ciel
a-t-il conduit ce grand événement?
Esther.
Peut-être on t'a conté la
fameuse disgrâce
de l'altière Vasthi, dont j'occupe la place,
lorsque le roi, contre elle
enflammé de dépit,
la chassa de son trône, ainsi que de son lit.
Mais il
ne put sitôt en bannir la pensée.
Vasthi régna longtemps dans son âme
offensée.
Dans ses nombreux états il fallut donc chercher
quelque nouvel
objet qui l'en pût détacher.
De l'Inde à l'Hellespont ses esclaves
coururent.
Les filles de l'Égypte à Suse comparurent.
Celles même du Parthe et du
Scythe indompté
y briguèrent le sceptre offert à la beauté.
On m'élevoit
alors, solitaire et cachée,
sous les yeux vigilants du sage Mardochée.
Tu
sais combien je dois à ses heureux secours.
La mort m'avoit ravi les auteurs
de mes jours.
Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
me tint lieu, chère Élise, et de père et de mère.
Du triste état des Juifs jour et nuit
agité,
il me tira du sein de mon
obscurité;
et sur mes foibles mains fondant leur délivrance,
il me fit d'
un empire accepter l'espérance.
à ses desseins secrets tremblante j'
obéis.
Je vins. Mais je cachai ma race et mon pays.
Qui pourroit cependant
t'exprimer les cabales
que formoit en ces lieux ce peuple de rivales,
qui
toutes disputant un si grand intérêt,
des yeux d'Assuérus attendoient leur
arrêt?
Chacune avoit sa brigue et de puissants suffrages:
l'une d'un
sang fameux vantoit les avantages;
l'autre, pour se parer de superbes
atours,
des plus adroites mains empruntoit le secours.
Et moi, pour toute
brigue et pour tout artifice,
de mes larmes au ciel j'offrois le
sacrifice.
Enfin on m'annonça l'ordre d'Assuérus.
Devant ce fier
monarque, Élise, je parus.
Dieu tient le cur des rois entre ses mains
puissantes;
il fait que tout prospère aux âmes innocentes,
tandis qu'en ses projets l'
orgueilleux est trompé.
De mes foibles attraits le roi parut frappé.
Il m'
observa longtemps dans un sombre silence;
et le ciel, qui pour moi fit
pencher la balance,
dans ce temps-là sans doute agissoit sur son
cur.
Enfin avec des yeux où régnoit la douceur:
Soyez reine, dit-il ; et dès ce moment même
de sa main sur mon front posa son diadème.
Pour
mieux faire éclater sa joie et son amour,
il combla de présents tous les
grands de sa cour;
et même ses bienfaits, dans toutes ses
provinces,
invitèrent le peuple aux noces de leurs princes.
Hélas! Durant
ces jours de joie et de festins,
quelle étoit en secret ma honte et mes
chagrins!
Esther, disois-je, Esther dans la pourpre est assise,
la
moitié de la terre à son sceptre est soumise,
et de Jérusalem l'herbe cache
les murs!
Sion, repaire affreux de reptiles impurs,
voit de son temple
saint les pierres dispersées,
et du Dieu d'Israël les fêtes sont cessées!
"
Élise.
N'avez-vous point au roi confié vos ennuis?
Esther.
Le
roi, jusqu'à ce jour, ignore qui je suis.
Celui par qui le ciel règle ma
destinée
sur ce secret encor tient ma langue
enchaînée.
Élise.
Mardochée? Hé! Peut-il approcher de ces lieux
?
Esther.
Son amitié pour moi le rend ingénieux.
Absent, je le consulte
; et ses réponses sages
pour venir jusqu'à moi trouvent mille
passages.
Un père a moins de soin du salut de son fils.
Déjà même, déjà
par ses secrets avis
j'ai découvert au roi les sanglantes pratiques
que
formoient contre lui deux ingrats domestiques.
Cependant mon amour pour notre
nation
a rempli ce palais de filles de Sion,
jeunes et tendres fleurs, par
le sort agitées,
sous un ciel étranger comme moi transplantées.
Dans un
lieu séparé de profanes témoins,
je mets à les former mon étude et mes soins
;
et c'est là que fuyant l'orgueil du diadème,
lasse de vains honneurs,
et me cherchant moi-même,
aux pieds de l'éternel je viens m'humilier,
et
goûter le plaisir de me faire oublier.
Mais à tous les Persans je cache leurs
familles.
Il faut les appeler. Venez, venez, mes filles,
compagnes
autrefois de ma captivité,
de l'antique Jacob jeune postérité.
ACTE I , SCENE II .
Une des israélites chante derrière le théâtre.
Ma sur, quelle voix nous appelle?
Une autre.
J'en
reconnois les agréables sons.
C'est la reine.
Toutes deux.
Courons,
mes surs, obéissons.
La reine nous appelle:
allons, rangeons-nous
auprès d'elle.
Tout le chur, entrant sur la scène par plusieurs
endroits
différents.
La reine nous appelle:
allons, rangeons-nous
auprès d'elle.
Élise.
Ciel! Quel nombreux essaim d'innocentes
beautés
s'offre à mes yeux en foule et sort de tous côtés!
Quelle
aimable pudeur sur leur visage est peinte!
Prospérez, cher espoir d'une
nation sainte.
Puissent jusques au ciel vos soupirs innocents
monter comme
l'odeur d'un agréable encens!
Que Dieu jette sur vous des regards
pacifiques.
Esther.
Mes filles, chantez-nous quelqu'un de ces
cantiques
où vos voix si souvent se mêlant à mes pleurs
de la triste Sion célèbrent
les malheurs.
Une israélite chante seule.
Déplorable Sion, qu'as-tu fait
de ta gloire?
Tout l'univers admiroit ta splendeur:
tu n'es plus que
poussière; et de cette grandeur
il ne nous reste plus que la triste
mémoire.
Sion, jusques au ciel élevée autrefois,
jusqu'aux enfers
maintenant abaissée,
puissé-je demeurer sans voix,
si dans mes chants ta
douleur retracée
jusqu'au dernier soupir n'occupe ma pensée!
Tout le chur.
Ô rives du Jourdain! Ô champs aimés des cieux!
Sacrés monts,
fertiles vallées,
par cent miracles signalées!
Du doux pays de nos
aïeux
serons-nous toujours exilées
?
Une israélite seule.
Quand verrai-je, Ô Sion! Relever tes
remparts,
et de tes tours les magnifiques faîtes?
Quand verrai-je de
toutes parts
tes peuples en chantant accourir à tes fêtes?
Tout le chur.
Ô rives du Jourdain! Ô champs aimés des cieux!
Sacrés monts,
fertiles vallées,
par cent miracles signalées!
Du doux pays de nos
aïeux
serons-nous toujours exilées?
ACTE I , SCENE III .
Esther.
Quel profane en ce lieu s'ose
avancer vers nous?
Que vois-je? Mardochée? Ô mon père, est-ce vous?
Un
ange du seigneur, sous son aile sacrée,
a donc conduit vos pas et caché votre
entrée?
Mais d'où vient cet air sombre, et ce cilice affreux,
et cette cendre enfin qui
couvre vos cheveux?
Que nous annoncez-vous?
Mardochée.
Ô reine
infortunée!
Ô d'un peuple innocent barbare destinée!
Lisez, lisez l'
arrêt détestable, cruel.
Nous sommes tous perdus, et c'est fait d'
Israël.
Esther.
Juste ciel! Tout mon sang dans mes veines se
glace.
Mardochée.
On doit de tous les Juifs exterminer la race.
Au
sanguinaire Aman nous sommes tous livrés.
Les glaives, les couteaux sont déjà
préparés.
Toute la nation à la fois est proscrite.
Aman, l'impie Aman,
race d'Amalécite,
a pour ce coup funeste armé
tout son crédit;
et le roi, trop crédule, a signé cet édit.
Prévenu
contre nous par cette bouche impure,
il nous croit en horreur à toute la
nature.
Ses ordres sont donnés; et dans tous ses états,
le jour fatal est
pris pour tant d'assassinats.
Cieux, éclairerez-vous cet horrible carnage
?
Le fer ne connoîtra ni le sexe ni l'âge;
tout doit servir de proie aux
tigres, aux vautours;
et ce jour effroyable arrive
dans dix jours.
Esther.
Ô Dieu, qui vois former des desseins si
funestes,
as-tu donc de Jacob abandonné les restes?
Une des plus jeunes
israélites.
Ciel! Qui nous défendra, si tu ne nous défends
?
Mardochée.
Laissez les pleurs, Esther, à ces jeunes enfants.
En vous
est tout l'espoir de vos malheureux frères.
Il faut les secourir. Mais les
heures sont chères:
le temps vole, et bientôt amènera le jour
où le nom
des Hébreux doit périr sans retour.
Toute pleine du feu de tant de saints
prophètes,
allez, osez au roi déclarer qui vous êtes.
Esther.
Hélas!
Ignorez-vous quelles sévères lois
aux timides mortels cachent ici les rois
?
Au fond de leur palais leur majesté terrible
affecte à leurs sujets de
se rendre invisible;
et la mort est le prix de tout audacieux
qui sans
être appelé se présente à leurs yeux,
si le roi dans l'instant, pour sauver
le coupable,
ne lui donne à baiser son sceptre redoutable.
Rien ne met à l'abri de cet
ordre fatal,
ni le rang, ni le sexe, et le crime est égal.
Moi-même, sur
son trône, à ses côtés assise,
je suis à cette loi comme une autre soumise
;
et sans le prévenir, il faut, pour lui parler,
qu'il me cherche, ou du
moins qu'il me fasse appeler.
Mardochée.
Quoi? Lorsque vous voyez périr
votre patrie,
pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie!
Dieu
parle, et d'un mortel vous craignez le courroux!
Que dis-je? Votre vie,
Esther, est-elle à vous?
N'est-elle pas au sang dont vous êtes issue
?
N'est-elle pas à Dieu dont vous l'avez reçue?
Et qui sait, lorsqu'au
trône il conduisit vos pas,
si pour sauver son peuple il ne vous gardoit pas
?
Songez-y bien: ce Dieu ne vous a pas choisie
pour être un vain
spectacle aux peuples de l'Asie,
ni pour charmer les yeux des profanes
humains.
Pour un plus noble usage il réserve ses saints.
S'immoler pour
son nom et pour son héritage,
d'un enfant d'Israël voilà le vrai partage
:
trop heureuse pour lui de hasarder vos jours!
Et quel besoin son bras
a-t-il de nos secours?
Que peuvent contre lui tous les rois de la terre
?
En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre:
pour dissiper leur
ligue il n'a qu'à se montrer;
il parle, et dans la poudre il
les fait tous rentrer.
Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble
;
il voit comme un néant tout l'univers ensemble;
et les foibles
mortels, vains jouets du trépas,
sont tous devant ses yeux comme s'ils n'
étoient pas.
S'il a permis d'Aman l'audace criminelle,
sans doute qu'
il vouloit éprouver votre zèle.
C'est lui qui m'excitant à vous oser
chercher,
devant moi, chère Esther, a bien voulu marcher;
et s'il faut
que sa voix frappe en vain vos oreilles,
nous n'en verrons pas moins éclater
ses merveilles.
Il peut confondre Aman, il peut briser nos fers
par la
plus foible main qui soit dans l'univers.
Et vous, qui n'aurez point
accepté cette grâce,
vous périrez peut-être, et toute votre race.
Esther.
Allez. Que tous les
Juifs dans Suse répandus,
à prier avec vous jour et nuit assidus,
me
prêtent de leurs vux le secours salutaire,
et pendant ces trois jours
gardent un jeûne austère.
Déjà la sombre nuit a commencé son tour
:
demain, quand le soleil rallumera le jour,
contente de périr, s'il faut
que je périsse,
j'irai pour mon pays m'offrir en sacrifice.
Qu'on s'
éloigne un moment.
(le chur se retire vers le fond du théâtre.)
ACTE I , SCENE IV .
Esther.
Ô mon souverain roi!
Me voici
donc tremblante et seule devant toi.
Mon père mille fois m'a dit dans mon
enfance,
qu'avec nous tu juras une sainte alliance,
quand pour te faire
un peuple agréable à tes yeux,
il plut à ton amour de choisir nos aïeux.
Même tu leur promis de ta
bouche sacrée
une postérité d'éternelle durée.
Hélas! Ce peuple ingrat a
méprisé ta loi;
la nation chérie a violé sa foi;
elle a répudié son
époux et son père,
pour rendre à d'autres dieux un honneur
adultère.
Maintenant elle sert sous un maître étranger.
Mais c'est peu d'
être esclave, on la veut égorger.
Nos superbes vainqueurs, insultant à nos
larmes,
imputent à leurs dieux le bonheur de leurs armes,
et veulent
aujourd'hui qu'un même coup mortel
abolisse ton nom, ton peuple et ton
autel.
Ainsi donc un perfide, après tant de miracles,
pourroit anéantir la
foi de tes oracles,
raviroit aux mortels le plus cher de tes dons,
le
saint que tu promets et que nous attendons?
Non, non, ne souffre pas que ces
peuples farouches,
ivres de notre sang, ferment les seules bouches
qui
dans tout l'univers célèbrent tes bienfaits;
et confonds tous ces dieux qui
ne furent jamais.
Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles,
tu sais
combien je hais leurs fêtes criminelles,
et que je mets au rang des
profanations
leur table, leurs festins et leurs libations;
que même cette
pompe où je suis condamnée,
ce bandeau, dont il faut que je paroisse
ornée
dans ces jours solennels à l'orgueil dédiés,
seule et dans le
secret je le foule à mes pieds;
qu'à ces vains ornements je préfère la
cendre,
et n'ai de goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre.
J'
attendois le moment marqué dans ton arrêt,
pour oser de ton peuple embrasser
l'intérêt.
Ce moment est venu: ma prompte obéissance
va d'un roi
redoutable affronter la présence.
C'est pour toi que je marche. Accompagne
mes pas
devant ce fier lion qui ne te connoît pas,
commande en me voyant
que son courroux s'apaise,
et prête à mes discours un charme qui lui
plaise.
Les orages, les vents, les cieux te sont soumis:
tourne enfin sa
fureur contre nos ennemis.
ACTE I , SCENE V .
(toute cette scène est chantée.)
Une israélite seule.
Pleurons et gémissons, mes fidèles compagnes.
à nos
sanglots donnons un libre cours.
Levons les yeux vers les
saintes montagnes
d'où l'innocence attend tout son secours.
Ô mortelles
alarmes!
Tout Israël périt. Pleurez, mes tristes yeux.
Il ne fut jamais
sous les cieux
un si juste sujet de larmes.
Tout le chur.
Ô mortelles
alarmes!
Une autre israélite.
N'étoit-ce pas assez qu'un vainqueur
odieux
de l'auguste Sion eût détruit tous les charmes,
et traîné ses
enfants captifs en mille lieux?
Tout le chur.
Ô mortelles alarmes
!
La même israélite.
Foibles agneaux livrés à des loups furieux,
nos
soupirs sont nos seules armes.
Tout le chur.
Ô mortelles alarmes
!
Une des israélites.
Arrachons, déchirons tous ces vains ornements
qui
parent notre tête.
Une autre.
Revêtons-nous d'habillements
conformes à
l'horrible fête
que l'impie Aman nous apprête.
Tout le chur.
Arrachons,
déchirons tous ces vains ornements
qui parent notre tête.
Une israélite
seule.
Quel carnage de toutes parts!
On égorge à la fois les enfants, les
vieillards,
et la sur et le frère,
et la fille et la mère,
le fils
dans les bras de son père.
Que de corps entassés! Que de membres
épars,
privés de sépulture!
Grand Dieu! Tes saints sont la pâture
des
tigres et des léopards.
Une des plus jeunes israélites.
Hélas! Si jeune
encore,
par quel crime ai-je pu mériter mon malheur?
Ma vie à peine a
commencé d'éclore.
Je tomberai comme une fleur
qui n'a vu qu'une
aurore.
Hélas! Si jeune encore,
par quel crime ai-je pu mériter mon
malheur?
Une autre.
Des offenses d'autrui malheureuses victimes,
que
nous servent, hélas! Ces regrets superflus?
Nos pères ont péché, nos pères
ne sont plus,
et nous portons la peine de leurs crimes.
Tout le chur.
Le Dieu que
nous servons est le Dieu des combats:
non, non, il ne souffrira pas
qu'
on égorge ainsi l'innocence.
Une israélite seule.
Hé quoi? Diroit l'
impiété,
où donc est-il ce Dieu si redouté
dont Israël nous vantoit la
puissance?
Une autre.
Ce Dieu jaloux, ce Dieu victorieux,
frémissez,
peuples de la terre,
ce Dieu jaloux, ce Dieu victorieux
est le seul qui
commande aux cieux.
Ni les éclairs ni le tonnerre
n'obéissent point à vos
dieux.
Une autre.
Il renverse l'audacieux.
Une autre.
Il prend l'
humble sous sa défense.
Tout le chur.
Le Dieu que nous servons est le
Dieu des combats:
non, non, il ne souffrira pas
qu'on égorge ainsi l'
innocence.
Deux israélites.
Ô Dieu, que la gloire couronne,
Dieu, que
la lumière environne,
qui voles sur l'aile des vents,
et dont le trône est porté par
les anges!
Deux autres des plus jeunes.
Dieu, qui veux bien que de
simples enfants
avec eux chantent tes louanges.
Tout le chur.
Tu vois
nos pressants dangers:
donne à ton nom la victoire;
ne souffre point que
ta gloire
passe à des dieux étrangers.
Une israélite seule.
Arme-toi,
viens nous défendre:
descends, tel qu'autrefois la mer te vit
descendre.
Que les méchants apprennent aujourd'hui
à craindre ta
colère.
Qu'ils soient comme la poudre et la paille légère
que le vent
chasse devant lui.
Tout le chur.
Tu vois nos pressants dangers:
donne à ton nom la victoire
;
ne souffre point que ta gloire
passe à des dieux étrangers.
ACTE II , SCENE PREMIERE .
(le théâtre représente la chambre où est le trône d'Assuérus.)
Aman.
Hé quoi? Lorsque le jour ne commence qu'
à luire,
dans ce lieu redoutable oses-tu m'introduire?
Hydaspe.
Vous
savez qu'on s'en peut reposer sur ma foi,
que ces portes, seigneur, n'
obéissent qu'à moi.
Venez. Partout ailleurs on pourroit nous
entendre.
Aman.
Quel est donc le secret que tu me veux apprendre
?
Hydaspe.
Seigneur, de vos bienfaits mille fois honoré,
je me souviens
toujours que je vous ai juré
d'exposer à vos yeux par des avis
sincères
tout ce que ce palais renferme de mystères.
Le roi d'un noir
chagrin paroît enveloppé.
Quelque songe effrayant cette nuit l'a
frappé.
Pendant que tout gardoit un silence paisible,
sa voix s'est fait
entendre avec un cri terrible.
J'ai couru. Le désordre étoit
dans ses discours.
Il s'est plaint d'un péril qui menaçoit ses jours
:
il parloit d'ennemi, de ravisseur farouche;
même le nom d Esther est
sorti de sa bouche.
Il a dans ces horreurs passé toute la nuit.
Enfin, las
d'appeler un sommeil qui le fuit,
pour écarter de lui ces images
funèbres,
il s'est fait apporter ces annales célèbres
où les faits de son
règne, avec soin amassés,
par de fidèles mains chaque jour sont tracés.
On
y conserve écrits le service et l'offense,
monuments éternels d'amour et de
vengeance.
Le roi, que j'ai laissé plus calme dans son lit,
d'une
oreille attentive écoute ce récit.
Aman.
De quel temps de sa vie a-t-il
choisi l'histoire?
Hydaspe.
Il revoit tous ces temps si remplis de sa
gloire,
depuis le fameux jour qu'au trône de Cyrus
le choix du sort plaça
l'heureux Assuérus.
Aman.
Ce songe, Hydaspe, est donc sorti de son idée
?
Hydaspe.
Entre tous les devins fameux dans la Chaldée,
il a fait
assembler ceux qui savent le mieux
lire en un songe obscur les volontés des
cieux.
Mais quel trouble vous-même aujourd'hui vous agite?
Votre âme, en
m'écoutant, paroît toute interdite.
L'heureux Aman a-t-il
quelques secrets ennuis?
Aman.
Peux-tu le demander dans la place où je
suis,
haï, craint, envié, souvent plus misérable
que tous les malheureux
que mon pouvoir accable?
Hydaspe.
Hé! Qui jamais du ciel eut des regards
plus doux?
Vous voyez l'univers prosterné devant vous.
Aman.
L'
univers? Tous les jours un homme... Un vil esclave
d'un front audacieux me
dédaigne et me brave.
Hydaspe.
Quel est cet ennemi de l'état et du roi
?
Aman.
Le nom de Mardochée est-il connu de toi?
Hydaspe.
Qui? Ce
chef d'une race abominable, impie?
Aman.
Oui,
lui-même.
Hydaspe.
Hé, seigneur! D'une si belle vie
un si foible
ennemi peut-il troubler la paix?
Aman.
L'insolent devant moi ne se
courba jamais.
En vain de la faveur du plus grand des monarques
tout
révère à genoux les glorieuses marques.
Lorsque d'un saint respect
tous les Persans touchés
n'osent lever leurs fronts à la terre
attachés,
lui, fièrement assis, et la tête immobile,
traite tous ces
honneurs d'impiété servile,
présente à mes regards un front séditieux,
et
ne daigneroit pas au moins baisser les yeux.
Du palais cependant il assiége
la porte:
à quelque heure que j'entre, Hydaspe, ou que je sorte,
son
visage odieux m'afflige et me poursuit;
et mon esprit troublé le voit encor
la nuit.
Ce matin j'ai voulu devancer la lumière:
je l'ai trouvé
couvert d'une affreuse poussière,
revêtu de lambeaux, tout pâle. Mais son
il
conservoit sous la cendre encor le même orgueil.
D'où lui vient,
cher ami, cette impudente audace?
Toi, qui dans ce palais vois
tout ce qui se passe,
crois-tu que quelque voix ose parler pour lui?
Sur
quel roseau fragile a-t-il mis son appui?
Hydaspe.
Seigneur, vous le
savez, son avis salutaire
découvrit de Tharès le complot sanguinaire.
Le
roi promit alors de le récompenser.
Le roi, depuis ce temps, paroît n'y plus
penser.
Aman.
Non, il faut à tes yeux dépouiller l'artifice.
J'ai su
de mon destin corriger l'injustice.
Dans les mains des Persans jeune enfant
apporté,
je gouverne l'empire où je fus acheté.
Mes richesses des rois
égalent l'opulence.
Environné d'enfants, soutiens de ma puissance,
il ne
manque à mon front que le bandeau royal.
Cependant, des mortels aveuglement
fatal!
De cet amas d'honneurs la douceur passagère
fait sur mon cur à
peine une atteinte légère;
mais Mardochée, assis aux portes du palais,
dans ce cur malheureux
enfonce mille traits;
et toute ma grandeur me devient insipide,
tandis
que le soleil éclaire ce perfide.
Hydaspe.
Vous serez de sa vue affranchi
dans dix jours:
la nation entière est promise aux vautours.
Aman.
Ah!
Que ce temps est long à mon impatience!
C'est lui, je te veux bien confier
ma vengeance,
c'est lui qui, devant moi refusant de ployer,
les a livrés
au bras qui les va foudroyer.
C'étoit trop peu pour moi d'une telle victime
:
la vengeance trop foible attire un second crime.
Un homme tel qu'Aman,
lorsqu'on l'ose irriter,
dans sa juste fureur ne peut trop éclater.
Il
faut des châtiments dont l'univers frémisse;
qu'on tremble en comparant l'
offense et le supplice;
que les peuples entiers dans le sang soient
noyés.
Je veux qu'on dise un jour aux siècles effrayés:
Il fut des Juifs, il fut une insolente race;
répandus sur la terre, ils en couvroient
la face;
un seul osa d'Aman attirer le courroux,
aussitôt de la terre
ils disparurent tous.
Hydaspe.
Ce n'est donc pas, seigneur, le sang
amalécite
dont la voix à les perdre en secret vous excite?
Aman.
Je sais que descendu
de ce sang malheureux,
une éternelle haine a dû m'armer contre eux;
qu'
ils firent d'Amalec un indigne carnage;
que jusqu'aux vils troupeaux, tout
éprouva leur rage;
qu'un déplorable reste à peine fut sauvé.
Mais,
crois-moi, dans le rang où je suis élevé,
mon âme, à ma grandeur toute
entière attachée,
des intérêts du sang est foiblement touchée.
Mardochée
est coupable; et que faut-il de plus?
Je prévins donc contre eux l'esprit
d'Assuérus:
j'inventai des couleurs; j'armai la calomnie;
j'
intéressai sa gloire; il trembla pour sa vie.
Je les peignis puissants,
riches, séditieux;
leur dieu même ennemi de tous les autres dieux.
Jusqu'à quand souffre-t-on que ce peuple respire,
et d'un culte profane
infecte votre empire?
étrangers dans la Perse, à nos lois opposés,
du
reste des humains ils semblent divisés,
n'aspirent qu'à troubler le repos
où nous sommes,
et détestés partout, détestent tous les hommes.
Prévenez,
punissez leurs insolents efforts;
de leur dépouille enfin grossissez vos
trésors.
je dis, et l'on me crut. Le
roi, dès l'heure même,
mit dans ma main le sceau de son pouvoir suprême:
Assure, me dit-il, le repos de ton roi;
va, perds ces malheureux:
leur dépouille est à toi.
toute la nation fut ainsi condamnée.
Du
carnage avec lui je réglai la journée.
Mais de ce traître enfin le trépas
différé
fait trop souffrir mon cur de son sang altéré.
Un je ne sais
quel trouble empoisonne ma joie.
Pourquoi dix jours encor faut-il que je le
voie?
Hydaspe.
Et ne pouvez-vous pas d'un mot l'exterminer?
Dites
au roi, seigneur, de vous l'abandonner.
Aman.
Je viens pour épier le
moment favorable.
Tu connois comme moi ce prince inexorable.
Tu sais
combien terrible en ses soudains transports,
de nos desseins souvent il rompt
tous les ressorts.
Mais à me tourmenter ma crainte est trop subtile
:
Mardochée à ses yeux est une âme trop vile.
Hydaspe.
Que tardez-vous
? Allez, et faites promptement
élever de sa mort le honteux instrument.
Aman.
J'entends du bruit;
je sors. Toi, si le roi m'appelle...
Hydaspe.
Il suffit.
ACTE II , SCENE II .
Assuérus.
Ainsi donc, sans cet avis
fidèle,
deux traîtres dans son lit assassinoient leur roi?
Qu'on me
laisse, et qu'Asaph seul demeure avec moi.
ACTE II , SCENE III .
Assuérus, assis sur son trône.
Je veux
bien l'avouer: de ce couple perfide
j'avois presque oublié l'attentat
parricide;
et j'ai pâli deux fois au terrible récit
qui vient d'en
retracer l'image à mon esprit.
Je vois de quel succès leur fureur fut
suivie,
et que dans les tourments ils laissèrent la vie.
Mais ce sujet
zélé qui, d'un il si subtil,
sut de leur noir complot développer le
fil,
qui me montra sur moi leur main déjà levée,
enfin par qui la Perse
avec moi fut sauvée,
quel honneur pour sa foi, quel prix a-t-il reçu
?
Asaph.
On lui promit beaucoup: c'est tout ce que j'ai su.
Assuérus.
Ô d'un si grand
service oubli trop condamnable!
Des embarras du trône effet inévitable
!
De soins tumultueux un prince environné
vers de nouveaux objets est sans
cesse entraîné;
l'avenir l'inquiète, et le présent le frappe;
mais
plus prompt que l'éclair, le passé nous échappe;
et de tant de mortels, à
toute heure empressés
à nous faire valoir leurs soins intéressés,
il ne s'
en trouve point qui, touchés d'un vrai zèle,
prennent à notre gloire un
intérêt fidèle,
du mérite oublié nous fassent souvenir,
trop prompts à
nous parler de ce qu'il faut punir!
Ah! Que plutôt l'injure échappe à ma
vengeance
qu'un si rare bienfait à ma reconnoissance.
Et qui voudroit
jamais s'exposer pour son roi?
Ce mortel qui montra tant de zèle pour
moi
vit-il encore?
Asaph.
Il voit l'astre qui
vous éclaire.
Assuérus.
Et que n'a-t-il plus tôt demandé son salaire
?
Quel pays reculé le cache à mes bienfaits?
Asaph.
Assis le plus
souvent aux portes du palais,
sans se plaindre de vous, ni de sa
destinée,
il y traîne, seigneur, sa vie infortunée.
Assuérus.
Et je
dois d'autant moins oublier la vertu,
qu'elle-même s'oublie. Il se nomme,
dis-tu?
Asaph.
Mardochée est le nom que je viens de vous
lire.
Assuérus.
Et son pays?
Asaph.
Seigneur, puisqu'il faut vous
le dire,
c'est un de ces captifs à périr destinés,
des rives du Jourdain
sur l'Euphrate amenés.
Assuérus.
Il est donc Juif? Ô ciel! Sur le point
que la vie
par mes propres sujets m'alloit être ravie,
un Juif rend par
ses soins leurs efforts impuissants?
Un Juif m'a préservé du glaive des
Persans?
Mais puisqu'il m'a sauvé,
quel qu'il soit, il n'importe.
Holà! Quelqu'un.
ACTE II , SCENE IV
.
Hydaspe.
Seigneur.
Assuérus.
Regarde à cette
porte.
Vois s'il s'offre à tes yeux quelque grand de ma
cour.
Hydaspe.
Aman à votre porte a devancé le jour.
Assuérus.
Qu'
il entre. Ses avis m'éclaireront peut-être.
ACTE II , SCENE V .
Assuérus.
Approche, heureux appui du
trône de ton maître,
âme de mes conseils, et qui seul tant de fois
du
sceptre dans ma main as soulagé le poids.
Un reproche secret embarrasse mon
âme.
Je sais combien est pur le zèle qui t'enflamme:
le mensonge jamais
n'entra dans tes discours,
et mon intérêt seul est le but où tu cours.
Dis-moi donc: que doit faire
un prince magnanime
qui veut combler d'honneurs un sujet qu'il estime
?
Par quel gage éclatant et digne d'un grand roi
puis-je récompenser le
mérite et la foi?
Ne donne point de borne à ma reconnoissance:
mesure
tes conseils sur ma vaste puissance.
Aman, tout bas.
C'est pour toi-même,
Aman, que tu vas prononcer;
et quel autre que toi peut-on récompenser
?
Assuérus.
Que penses-tu?
Aman.
Seigneur, je cherche, j'
envisage
des monarques persans la conduite et l'usage.
Mais à mes yeux en
vain je les rappelle tous:
pour vous régler sur eux que sont-ils près de
vous?
Votre règne aux neveux doit servir de modèle.
Vous voulez d'un
sujet reconnoître le zèle,
l'honneur seul peut flatter un esprit généreux
:
je voudrois donc, seigneur, que ce mortel heureux,
de la pourpre
aujourd'hui paré comme vous-même,
et portant sur le front le sacré
diadème,
sur un de vos coursiers pompeusement orné,
aux yeux de vos sujets
dans Suse fût mené;
que pour comble de gloire et de magnificence,
un
seigneur éminent en richesse, en puissance,
enfin de votre empire après
vous le premier,
par la bride guidât son superbe coursier;
et lui-même,
marchant en habits magnifiques,
criât à haute voix dans les places publiques
:
Mortels, prosternez-vous: c'est ainsi que le roi
honore le mérite et
couronne la foi.
Assuérus.
Je vois que la sagesse elle-même t'
inspire.
Avec mes volontés ton sentiment conspire.
Va, ne perds point de
temps. Ce que tu m'as dicté,
je veux de point en point qu'il soit
exécuté.
La vertu dans l'oubli ne sera plus cachée.
Aux portes du palais
prends le Juif Mardochée:
c'est lui que je prétends honorer aujourd'
hui.
Ordonne son triomphe, et marche devant lui.
Que Suse par ta voix de
son nom retentisse,
et fais à son aspect que tout genou fléchisse.
Sortez
tous.
Aman.
Dieux!
ACTE II , SCENE VI .
Assuérus, seul.
Le prix est sans doute
inouï:
jamais d'un tel honneur un sujet n'a joui.
Mais plus la
récompense est grande et glorieuse,
plus même de ce Juif la race est
odieuse,
plus j'assure ma vie, et montre avec éclat
combien Assuérus
redoute d'être ingrat.
On verra l'innocent discerné du coupable.
Je n'
en perdrai pas moins ce peuple abominable.
Leurs crimes...
ACTE II , SCENE VII .
(Esther entre, s'appuyant sur Élise;
quatre Israélites soutiennent sa robe.)
Assuérus.
Sans mon ordre on
porte ici ses pas?
Quel mortel insolent vient chercher le trépas
?
Gardes... C'est vous, Esther? Quoi? Sans être attendue?
Esther.
Mes filles,
soutenez votre reine éperdue.
Je me meurs.
(elle tombe évanouie.)
Assuérus.
Dieux puissants! Quelle étrange pâleur
de son
teint tout à coup efface la couleur?
Esther, que craignez-vous? Suis-je pas
votre frère?
Est-ce pour vous qu'est fait un ordre si sévère?
Vivez, le
sceptre d'or, que vous tend cette main,
pour vous de ma clémence est un gage
certain.
Esther.
Quelle voix salutaire ordonne que je vive,
et rappelle
en mon sein mon âme fugitive?
Assuérus.
Ne connoissez-vous pas la voix de
votre époux?
Encore un coup, vivez, et revenez à
vous.
Esther.
Seigneur, je n'ai jamais contemplé qu'avec crainte
l'
auguste majesté sur votre front empreinte:
jugez combien ce front irrité
contre moi
dans mon âme troublée a dû jeter d'effroi.
Sur ce trône sacré,
qu'environne la foudre,
j'ai cru vous voir tout prêt à me réduire en
poudre.
Hélas! Sans frissonner, quel cur audacieux
soutiendroit les
éclairs qui partoient de vos yeux?
Ainsi du Dieu vivant la colère
étincelle...
Assuérus.
Ô soleil! Ô flambeaux de lumière immortelle
!
Je me trouble moi-même, et sans frémissement
je ne puis voir sa peine et
son saisissement.
Calmez, reine, calmez la frayeur qui vous presse.
Du
cur d'Assuérus souveraine maîtresse,
éprouvez seulement son ardente
amitié.
Faut-il de mes états vous donner la moitié?
Esther.
Hé! Se
peut-il qu'un roi craint de la terre entière,
devant qui tout fléchit et
baise la poussière,
jette sur son esclave un regard si serein,
et m'offre
sur son cur un pouvoir souverain?
Assuérus.
Croyez-moi, chère Esther,
ce sceptre, cet empire,
et ces profonds respects que la terreur inspire,
à leur pompeux éclat mêlent
peu de douceur,
et fatiguent souvent leur triste possesseur.
Je ne trouve
qu'en vous je ne sais quelle grâce
qui me charme toujours et jamais ne me
lasse.
De l'aimable vertu doux et puissants attraits!
Tout respire en
Esther l'innocence et la paix.
Du chagrin le plus noir elle écarte les
ombres,
et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres.
Que
dis-je? Sur ce trône assis auprès de vous,
des astres ennemis j'en crains
moins le courroux,
et crois que votre front prête à mon diadème
un éclat
qui le rend respectable aux dieux même.
Osez donc me répondre, et ne me
cachez pas
quel sujet important conduit ici vos pas.
Quel intérêt, quels
soins vous agitent, vous pressent?
Je vois qu'en m'écoutant vos yeux au
ciel s'adressent.
Parlez: de vos desirs le succès est certain,
si ce
succès dépend d'une mortelle main.
Esther.
Ô bonté qui m'assure autant
qu'elle m'honore!
Un intérêt pressant veut que je vous implore.
J'
attends ou mon malheur ou ma félicité;
et tout dépend, seigneur, de votre
volonté.
Un mot de votre bouche, en terminant mes peines,
peut rendre
Esther heureuse entre toutes les reines.
Assuérus.
Ah! Que vous enflammez
mon desir curieux!
Esther.
Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant vos
yeux,
si jamais à mes vux vous
fûtes favorable,
permettez, avant tout, qu'Esther puisse à sa
table
recevoir aujourd'hui son souverain seigneur,
et qu'Aman soit admis
à cet excès d'honneur.
J'oserai devant lui rompre ce grand silence,
et
j'ai, pour m'expliquer, besoin de sa présence.
Assuérus.
Dans quelle
inquiétude, Esther, vous me jetez!
Toutefois qu'il soit fait comme vous
souhaitez.
(à ceux de sa suite.)
vous, que l'on cherche Aman; et qu'on
lui fasse entendre
qu'invité chez la reine, il ait soin de s'y rendre.
Hydaspe.
Les savants
chaldéens, par votre ordre appelés,
dans cet appartement, seigneur, sont
assemblés.
Assuérus.
Princesse, un songe étrange occupe ma
pensée.
Vous-même en leur réponse êtes intéressée.
Venez, derrière un
voile écoutant leurs discours,
de vos propres clartés me prêter le
secours.
Je crains pour vous, pour moi, quelque ennemi
perfide.
Esther.
Suis-moi, Thamar. Et vous, troupe jeune et
timide,
sans craindre ici les yeux d'une profane cour,
à l'abri de ce
trône attendez mon retour.
ACTE II , SCENE VIII .
(cette scène est partie déclamée sans chant, et partie chantée.)
Élise.
Que vous semble, mes surs, de l'état
où nous sommes?
D'Esther, d'Aman, qui le doit emporter?
Est-ce Dieu,
sont-ce les hommes
dont les uvres vont éclater?
Vous avez vu quelle
ardente colère
allumoit de ce roi le visage
sévère.
Une des israélites.
Des éclairs de ses yeux l'il étoit
ébloui.
Une autre.
Et sa voix m'a paru comme un tonnerre
horrible.
Élise.
Comment ce courroux si terrible
en un momment s'
est-il évanoui?
Une des israélites chante.
Un moment a changé ce courage
inflexible.
Le lion rugissant est un agneau paisible.
Dieu, notre Dieu
sans doute a versé dans son cur
cet esprit de douceur.
Le chur chante.
Dieu, notre Dieu sans doute a versé dans son cur
cet esprit de
douceur.
La même israélite chante.
Tel qu'un ruisseau docile
obéit à
la main qui détourne son cours,
et laissant de ses eaux partager le
secours,
va rendre tout un champ fertile,
Dieu, de nos volontés arbitre
souverain,
le cur des rois est ainsi dans ta main.
Élise.
Ah! Que je
crains, mes surs, les funestes nuages
qui de ce prince obscurcissent les
yeux!
Comme il est aveuglé du culte de ses dieux!
Une des
israélites.
Il n'atteste jamais que leurs noms odieux.
Une autre.
Aux
feux inanimés dont se parent les cieux
il rend de profanes
hommages.
Une autre.
Tout son palais est plein de leurs images.
Le
chur chante.
Malheureux! Vous quittez le maître des humains
pour adorer
l'ouvrage de vos mains!
Une israélite chante.
Dieu d'Israël, dissipe
enfin cette ombre.
Des larmes de tes saints quand seras-tu touché?
Quand
sera le voile arraché
qui sur tout l'univers jette une nuit si sombre
?
Dieu d'Israël, dissipe enfin cette ombre:
jusqu'à quand seras-tu
caché?
Une des plus jeunes israélites.
Parlons plus bas, mes surs. Ciel
! Si quelque infidèle,
écoutant nos discours, nous alloit déceler
!
Élise.
Quoi? Fille d'Abraham, une crainte mortelle
semble déjà vous
faire chanceler?
Hé! Si l'impie Aman, dans sa main homicide
faisant
luire à vos yeux un glaive menaçant,
à blasphémer le nom du
tout-puissant
vouloit forcer votre bouche timide?
Une autre israélite.
Peut-être Assuérus, frémissant de courroux,
si nous ne courbons les
genoux
devant une muette idole,
commandera qu'on nous immole.
Chère
sur, que choisirez-vous?
La jeune israélite.
Moi! Je pourrois trahir
le Dieu que j'aime?
J'adorerois un dieu sans force et sans vertu,
reste
d'un tronc par les vents abattu,
qui ne peut se sauver lui-même?
Le chur chante.
Dieux impuissants, dieux sourds, tous ceux qui vous
implorent
ne seront jamais entendus.
Que les démons, et ceux qui les
adorent,
soient à jamais détruits et confondus.
Une israélite chante.
Que ma bouche et mon cur, et tout ce que je suis,
rendent
honneur au Dieu qui m'a donné la vie.
Dans les craintes, dans les
ennuis,
en ses bontés mon âme se confie.
Veut-il par mon trépas que je le
glorifie?
Que ma bouche et mon cur, et tout ce que je suis,
rendent
honneur au Dieu qui m'a donné la vie.
Élise.
Je n'admirai jamais la
gloire de l'impie.
Une autre israélite.
Au bonheur du méchant qu'une
autre porte envie.
Élise.
Tous ses jours paroissent charmants;
l'or
éclate en ses vêtements;
son orgueil est sans borne
ainsi que sa richesse;
jamais l'air n'est troublé de ses gémissements
;
il s'endort, il s'éveille au son des instruments;
son cur nage dans
la mollesse.
Une autre israélite.
Pour comble de prospérité,
il espère
revivre en sa postérité;
et d'enfants à sa table une riante
troupe
semble boire avec lui la joie à pleine coupe.
(tout ce reste est
chanté.)
Le chur.
Heureux, dit-on, le peuple florissant
sur qui ces
biens coulent en abondance!
Plus heureux le peuple innocent
qui dans le
Dieu du ciel a mis sa confiance!
Une israélite seule.
Pour contenter ses
frivoles desirs,
l'homme insensé vainement se consume:
il trouve l'
amertume
au milieu des plaisirs.
Une autre seule.
Le bonheur
de l'impie est toujours agité;
il erre à la merci de sa propre
inconstance.
Ne cherchons la félicité
que dans la paix de l'
innocence.
La même avec une autre.
Ô douce paix!
Ô lumière éternelle
!
Beauté toujours nouvelle!
Heureux le cur épris de tes attraits!
Ô
douce paix!
Ô lumière éternelle!
Heureux le cur qui ne te perd jamais
!
Le chur.
Ô douce paix!
Ô lumière éternelle!
Beauté toujours
nouvelle!
Ô douce paix!
Heureux le cur qui ne te perd jamais!
La même seule.
Nulle paix pour l'impie. Il la cherche, elle fuit,
et le
calme en son cur ne trouve point de place.
Le glaive au dehors le poursuit
;
le remords au dedans le glace.
Une autre.
La gloire des méchants en
un moment s'éteint.
L'affreux tombeau pour jamais les dévore.
Il n'en est pas ainsi de
celui qui te craint:
il renaîtra, mon Dieu, plus brillant que l'
aurore.
Le chur.
Ô douce paix!
Heureux le cur qui ne te perd
jamais!
Élise, sans chanter.
Mes surs, j'entends du bruit dans la
chambre prochaine.
On nous appelle: allons rejoindre notre reine.
ACTE III , SCENE PREMIERE .
Le théâtre représente les jardins d' Esther,
et un des côtés du salon où se fait le festin.
Zarès.
C'est donc ici d'Esther le superbe jardin;
et ce salon pompeux est le lieu du festin.
Mais tandis que la porte en est encor fermée,
écoutez les conseils d'une épouse alarmée.
Au nom du sacré nud qui me lie avec vous,
dissimulez, seigneur, cet aveugle courroux;
éclaircissez ce front où la tristesse est peinte:
les rois craignent surtout le reproche et la plainte.
Seul entre tous les grands par la reine invité,
ressentez donc aussi cette félicité.
Si le mal vous aigrit, que le bienfait vous touche.
Je l'ai cent fois appris de votre propre bouche:
quiconque ne sait pas dévorer un affront,
ni de fausses couleurs se déguiser le front,
loin de l'aspect des rois qu'il s'écarte, qu'il fuie.
Il est des contre-temps qu'il faut qu'un sage essuie.
Souvent avec prudence un outrage enduré
aux honneurs les plus hauts a servi de degré.
Aman.
Ô douleur! Ô supplice affreux à la pensée!
Ô honte, qui jamais ne peut être effacée!
Un exécrable Juif, l'opprobre des humains,
s'est donc vu de la pourpre habillé par mes mains?
C'est peu qu'il ait sur moi remporté la victoire;
malheureux, j'ai servi de héraut à sa gloire.
Le traître! Il insultoit à ma confusion;
et tout le peuple même avec dérision,
observant la rougeur qui couvroit mon visage,
de ma chute certaine en tiroit le présage.
Roi cruel! Ce sont là les jeux où tu te plais.
Tu ne m'as prodigué tes perfides bienfaits
que pour me faire mieux sentir ta tyrannie,
et m'accabler enfin de plus d'ignominie.
Zarès.
Pourquoi juger si mal de son intention?
Il croit récompenser une bonne action.
Ne faut-il pas, seigneur, s'étonner au contraire
qu'il en ait si longtemps différé le salaire?
Du reste, il n'a rien fait que par votre conseil.
Vous-même avez dicté tout ce triste appareil.
Vous êtes après lui le premier de l'empire.
Sait-il toute l'horreur que ce Juif vous inspire ?
Aman.
Il sait qu'il me doit tout, et que pour sa grandeur
j'ai foulé sous les pieds remords, crainte, pudeur;
qu'avec un cur d'airain exerçant sa puissance,
j'ai fait taire les lois et gémir l'innocence;
que pour lui, des Persans bravant l'aversion,
j'ai chéri, j'ai cherché la malédiction ;
et pour prix de ma vie à leur haine exposée,
le barbare aujourd'hui m' expose à leur risée!
Zarès.
Seigneur, nous sommes seuls. Que sert de se flatter?
Ce zèle que pour lui vous fîtes éclater,
ce soin d'immoler tout à son pouvoir suprême,
entre nous, avoient-ils d'autre objet que vous-même ?
Et sans chercher plus loin, tous ces Juifs désolés,
n'est-ce pas à vous seul que vous les immolez?
Et ne craignez-vous point que quelque avis funeste...
Enfin la cour nous hait, le peuple nous déteste.
Ce Juif même, il le faut confesser malgré moi,
ce Juif, comblé d'honneurs, me cause quelque effroi.
Les malheurs sont souvent enchaînés l'un à l'autre,
et sa race toujours fut fatale à la vôtre.
De ce léger affront songez à profiter.
Peut-être la fortune est prête à vous quitter;
aux plus affreux excès son inconstance passe.
Prévenez son caprice avant qu'elle se lasse.
Où tendez-vous plus haut? Je frémis quand je voi
les abîmes profonds qui s' offrent devant moi:
la chute désormais ne peut être qu'horrible.
Osez chercher ailleurs un destin plus paisible.
Regagnez l'Hellespont, et ces bords écartés
où vos aïeux errants jadis furent jetés,
lorsque des Juifs contre eux la vengeance allumée
chassa tout Amalec de la triste Idumée.
Aux malices du sort enfin dérobez-vous.
Nos plus riches trésors marcheront devant nous.
Vous pouvez du départ me laisser la conduite ;
surtout de vos enfants j'assurerai la fuite.
N'ayez soin cependant que de dissimuler.
Contente, sur vos pas vous me verrez voler:
la mer la plus terrible et la plus orageuse
est plus sûre pour nous que cette cour trompeuse.
Mais à grands pas vers vous je vois quelqu'un marcher.
C'est Hydaspe.
ACTE III , SCENE II .
Hydaspe.
Seigneur, je courois vous
chercher.
Votre absence en ces lieux suspend toute la joie;
et pour vous
y conduire Assuérus m'envoie.
Aman.
Et Mardochée est-il aussi de ce
festin?
Hydaspe.
à la table d'Esther portez-vous ce chagrin?
Quoi?
Toujours de ce Juif l'image vous désole?
Laissez-le s'applaudir d'un
triomphe frivole.
Croit-il d'Assuérus éviter la rigueur?
Ne
possédez-vous pas son oreille et son cur?
On a payé le zèle, on punira le
crime;
et l'on vous a, seigneur, orné votre victime.
Je me trompe, ou
vos vux par Esther secondés
obtiendront plus encor que vous ne
demandez.
Aman.
Croirai-je le bonheur que ta bouche m'annonce
?
Hydaspe.
J'ai des savants devins entendu la réponse:
ils disent que
la main d'un perfide étranger
dans le sang de la reine est prête à se
plonger;
et le roi, qui ne sait où trouver le coupable,
n'impute qu'aux
seuls Juifs ce projet détestable.
Aman.
Oui, ce sont, cher
ami, des monstres furieux;
il faut craindre surtout leur chef
audacieux.
La terre avec horreur dès longtemps les endure;
et l'on n'en
peut trop tôt délivrer la nature.
Ah! Je respire enfin. Chère Zarès,
adieu.
Hydaspe.
Les compagnes d'Esther s'avancent vers ce lieu.
Sans
doute leur concert va commencer la fête.
Entrez, et recevez l'honneur qu'on
vous apprête.
ACTE III , SCENE III .
(ceci se récite sans chant.)
une des
israélites.
C'est Aman.
Une autre.
C'est lui-même, et j'en frémis,
ma sur.
La première.
Mon cur de crainte et d'horreur se
resserre.
L'autre.
C'est d'Israël le superbe oppresseur.
La première.
C'est celui qui trouble la terre.
Élise.
Peut-on, en le
voyant, ne le connoître pas?
L'orgueil et le dédain sont peints sur son
visage.
Une israélite.
On lit dans ses regards sa fureur et sa
rage.
Une autre.
Je croyois voir marcher la mort devant ses pas.
Une des plus jeunes.
Je ne
sais si ce tigre a reconnu sa proie;
mais en nous regardant, mes surs, il
m'a semblé
qu'il avoit dans les yeux une barbare joie,
dont tout mon
sang est encore troublé.
Élise.
Que ce nouvel honneur va croître son
audace!
Je le vois, mes surs, je le voi:
à la table d'Esther l'
insolent près du roi
a déjà pris sa place.
Une des israélites.
Ministres du festin, de grâce dites-nous,
quels mets à ce
cruel, quel vin préparez-vous?
Une autre.
Le sang de l'orphelin,
une
troisième.
Les pleurs des misérables,
La seconde.
Sont ses mets les
plus agréables.
La troisième.
C'est son breuvage le plus
doux.
Élise.
Chères surs, suspendez la douleur qui vous
presse.
Chantons, on nous l'ordonne; et que puissent nos chants
du cur
d'Assuérus adoucir la rudesse,
comme autrefois David par ses accords
touchants
calmoit d'un roi jaloux la sauvage tristesse!
(tout le reste de cette scène est chanté.)
Une israélite.
Que le
peuple est heureux,
lorsqu'un roi généreux,
craint dans tout l'univers,
veut encore qu'on l'aime!
Heureux le peuple! Heureux le roi lui-même
!
Tout le chur.
Ô repos! Ô tranquillité!
Ô d'un parfait bonheur
assurance éternelle,
quand la suprême autorité
dans ses conseils a
toujours auprès d'elle
la justice et la vérité!
(ces quatre stances sont chantées alternativement
par une voix seule et par tout le chur.)
Une israélite.
Rois, chassez la calomnie.
Ses criminels attentats
des plus
paisibles états
troublent l'heureuse harmonie.
Sa fureur, de sang
avide,
poursuit partout l'innocent.
Rois, prenez soin de l'
absent
contre sa langue homicide.
De ce monstre si farouche
craignez la
feinte douceur.
La vengeance est dans son cur,
et la pitié dans sa
bouche.
La fraude adroite et subtile
sème de fleurs son chemin;
mais
sur ses pas vient enfin
le repentir inutile.
Une israélite seule.
D'un
souffle l'aquilon écarte les nuages,
et chasse au loin la foudre et les
orages.
Un roi sage, ennemi du langage menteur,
écarte d'un regard le
perfide imposteur.
Une autre.
J'admire un roi victorieux,
que sa
valeur conduit triomphant en tous lieux;
mais un roi sage et qui hait l'
injustice,
qui sous la loi du riche impérieux
ne souffre point que le
pauvre gémisse,
est le plus beau présent des cieux.
Une autre.
La veuve
en sa défense espère.
Une autre.
De l'orphelin il est le père;
toutes
ensemble.
Et les larmes du juste implorant son appui
sont précieuses
devant lui.
Une israélite seule.
Détourne, roi puissant, détourne tes
oreilles
de tout conseil barbare et mensonger.
Il est temps que tu t'
éveilles:
dans le sang innocent ta main
va se plonger,
pendant que tu sommeilles.
Détourne, roi puissant, détourne
tes oreilles
de tout conseil barbare et mensonger.
Une autre.
Ainsi
puisse sous toi trembler la terre entière!
Ainsi puisse à jamais contre tes
ennemis
le bruit de ta valeur te servir de barrière!
S'ils t'attaquent,
qu'ils soient en un moment soumis.
Que de ton bras la force les renverse
;
que de ton nom la terreur les disperse;
que tout leur camp nombreux
soit devant tes soldats
comme d'enfants une troupe inutile;
et si par un
chemin il entre en tes états,
qu'il en sorte par plus de mille.
ACTE III , SCENE IV .
Assuérus, à Esther.
Oui, vos moindres
discours ont des grâces secrètes:
une noble pudeur à tout ce que vous
faites
donne un prix que n'ont point ni la pourpre ni l'or.
Quel climat
renfermoit un si rare trésor?
Dans quel sein vertueux avez-vous pris
naissance?
Et quelle main si sage éleva votre enfance?
Mais dites promptement ce que
vous demandez:
tous vos desirs, Esther, vous seront
accordés,
dussiez-vous, je l'ai dit, et veux bien le redire,
demander la
moitié de ce puissant empire.
Esther.
Je ne m'égare point dans ces vastes
desirs.
Mais puisqu'il faut enfin expliquer mes soupirs,
puisque mon roi lui-même à parler me convie,
(elle se jette aux pieds du roi.)
j'ose vous
implorer, et pour ma propre vie,
et pour les tristes jours d'un peuple
infortuné,
qu'à périr avec moi vous avez condamné.
Assuérus, la relevant.
à périr? Vous? Quel peuple? Et quel est ce mystère?
Aman tout bas.
Je
tremble.
Esther.
Esther, seigneur, eut un Juif pour son père.
De vos
ordres sanglants vous savez la rigueur.
Aman.
Ah, dieux
!
Assuérus.
Ah! De quel coup me percez-vous le cur?
Vous la fille
d'un Juif? Hé quoi? Tout ce que j'aime,
cette Esther, l'innocence et la
sagesse même,
que je croyois du ciel les plus chères amours,
dans cette
source impure auroit puisé ses jours?
Malheureux!
Esther.
Vous pourrez
rejeter ma prière.
Mais je demande au moins que pour grâce dernière
jusqu'
à la fin, seigneur, vous m'entendiez parler,
et que surtout Aman n'ose
point me troubler.
Assuérus.
Parlez.
Esther.
Ô Dieu, confonds l'
audace et l'imposture.
Ces Juifs, dont vous voulez délivrer la
nature,
que vous croyez, seigneur, le rebut des humains,
d'une riche
contrée autrefois souverains,
pendant qu'ils n'adoroient que le Dieu de
leurs pères
ont vu bénir le cours de leurs destins prospères.
Ce Dieu,
maître absolu de la terre et des cieux,
n'est point tel que l'erreur le
figure à vos yeux.
L'éternel est son nom. Le monde est son ouvrage;
il
entend les soupirs de l'humble qu'on outrage,
juge tous les mortels avec d'
égales lois,
et du haut de son trône interroge les rois.
Des plus fermes
états la chute épouvantable,
quand il veut, n'est qu'un jeu de sa main
redoutable.
Les Juifs à d'autres dieux osèrent s'adresser:
roi,
peuples, en un jour tout se vit disperser.
Sous les Assyriens leur triste
servitude
devint le juste prix de leur ingratitude.
Mais pour punir enfin
nos maîtres à leur tour,
Dieu fit choix de Cyrus, avant qu'il vît le
jour,
l'appela par son nom, le promit à la terre,
le fit naître, et
soudain l'arma de son tonnerre,
brisa les fiers remparts et les portes d'
airain,
mit des superbes rois la
dépouille en sa main,
de son temple détruit vengea sur eux l'
injure.
Babylone paya nos pleurs avec usure.
Cyrus, par lui vainqueur,
publia ses bienfaits,
regarda notre peuple avec des yeux de paix,
nous
rendit et nos lois et nos fêtes divines;
et le temple déjà sortoit de ses
ruines.
Mais de ce roi si sage héritier insensé,
son fils interrompit l'
ouvrage commencé,
fut sourd à nos douleurs. Dieu rejeta sa race,
le
retrancha lui-même, et vous mit en sa place.
Que n'espérions-nous point d'
un roi si généreux?
Dieu regarde en pitié son peuple
malheureux,
disions-nous: un roi règne, ami de l'innocence.
partout du
nouveau prince on vantoit la clémence:
les Juifs partout de joie en
poussèrent des cris.
Ciel! Verra-t-on toujours par de cruels esprits
des
princes les plus doux l'oreille environnée,
et du bonheur public la source
empoisonnée?
Dans le fond de la Thrace un barbare enfanté
est venu dans
ces lieux souffler la cruauté.
Un ministre ennemi de votre propre
gloire...
Aman.
De votre gloire? Moi
? Ciel! Le pourriez-vous croire?
Moi, qui n'ai d'autre objet ni d'autre
Dieu...
Assuérus.
Tais-toi.
Oses-tu donc parler sans l'ordre de ton
roi?
Esther.
Notre ennemi cruel devant vous se déclare:
c'est lui.
C'est ce ministre infidèle et barbare,
qui d'un zèle trompeur à vos yeux
revêtu,
contre notre innocence arma votre vertu.
Et quel autre, grand Dieu
! Qu'un Scythe impitoyable
auroit de tant d'horreurs dicté l'ordre
effroyable?
Partout l'affreux signal en même temps donné
de meurtres
remplira l'univers étonné.
On verra, sous le nom du plus juste des
princes,
un perfide étranger désoler vos provinces,
et dans ce palais
même, en proie à son courroux,
le sang de vos sujets regorger jusqu'à
vous.
Et que reproche aux Juifs sa haine envenimée?
Quelle guerre
intestine avons-nous allumée?
Les a-t-on vus marcher parmi vos ennemis
?
Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis?
Adorant dans leurs fers le
Dieu qui les châtie,
pendant que votre main sur eux appesantie
à leurs
persécuteurs les livroit sans secours,
ils conjuroient ce Dieu de veiller sur
vos jours,
de rompre des méchants les trames criminelles,
de mettre votre trône à l'
ombre de ses ailes.
N'en doutez point, seigneur, il fut votre
soutien.
Lui seul mit à vos pieds le Parthe et l'Indien,
dissipa devant
vous les innombrables Scythes,
et renferma les mers dans vos vastes
limites.
Lui seul aux yeux d'un Juif découvrit le dessein
de deux
traîtres tout prêts à vous percer le sein.
Hélas! Ce Juif jadis m'adopta
pour sa fille.
Assuérus.
Mardochée?
Esther.
Il restoit seul de
notre famille.
Mon père étoit son frère. Il descend comme moi
du sang
infortuné de notre premier roi.
Plein d'une juste horreur pour un
Amalécite,
race que notre Dieu de sa bouche a maudite,
il n'a devant Aman
pu fléchir les genoux,
ni lui rendre un honneur qu'il ne croit dû qu'à
vous.
De là contre les Juifs et
contre Mardochée
cette haine, seigneur, sous d'autres noms cachée.
En
vain de vos bienfaits Mardochée est paré.
à la porte d'Aman est déjà
préparé
d'un infâme trépas l'instrument exécrable.
Dans une heure au
plus tard ce vieillard vénérable,
des portes du palais par son ordre
arraché,
couvert de votre pourpre, y doit être attaché.
Assuérus.
Quel
jour mêlé d'horreur vient effrayer mon âme?
Tout mon sang de colère et de
honte s'enflamme.
J'étois donc le jouet... Ciel, daigne m'éclairer.
Un
moment sans témoins cherchons à respirer.
Appelez Mardochée: il faut aussi
l'entendre.
(le roi s'éloigne.)
Une israélite.
Vérité, que
j'implore, achève de descendre.
ACTE III , SCENE V .
Aman, à Esther.
D'un juste étonnement
je demeure frappé.
Les ennemis des Juifs m'ont trahi, m'ont trompé.
J'
en atteste du ciel la puissance suprême,
en les perdant j'ai cru vous
assurer vous-même.
Princesse, en leur faveur employez mon crédit:
le roi,
vous le voyez, flotte encore interdit.
Je sais par quels ressorts on le
pousse, on l'arrête;
et fais, comme il me plaît, le calme et la
tempête.
Les intérêts des Juifs déjà me sont sacrés.
Parlez: vos ennemis
aussitôt massacrés,
victimes de la foi que ma bouche vous jure,
de ma
fatale erreur répareront l'injure.
Quel sang demandez-vous
?
Esther.
Va, traître, laisse-moi.
Les Juifs n'attendent rien d'un
méchant tel que toi.
Misérable, le Dieu vengeur de l'innocence,
tout prêt
à te juger, tient déjà sa balance.
Bientôt son juste arrêt te sera
prononcé.
Tremble. Son jour approche, et ton règne est
passé.
Aman.
Oui, ce Dieu, je l'avoue, est un Dieu redoutable.
Mais veut-il que l'on garde
une haine implacable?
C'en est fait: mon orgueil est forcé de plier
;
l'inexorable Aman est réduit à prier.
(il se jette à ses pieds.)
par
le salut des Juifs, par ces pieds que j'embrasse,
par ce sage vieillard, l'
honneur de votre race,
daignez d'un roi terrible apaiser le
courroux.
Sauvez Aman, qui tremble à vos sacrés genoux.
ACTE III , SCENE VI .
Assuérus.
Quoi? Le traître sur vous
porte ses mains hardies?
Ah! Dans ses yeux confus je lis ses perfidies
;
et son trouble, appuyant la foi de vos discours,
de tous ses attentats
me rappelle le cours.
Qu'à ce monstre à l'instant l'âme soit arrachée
;
et que devant sa porte, au lieu de Mardochée,
apaisant par sa mort et la
terre et les cieux,
de mes peuples vengés il repaisse les yeux.
(Aman est emmené par les gardes.)
ACTE III , SCENE VII .
Assuérus continue en s'adressant à Mardochée.
Mortel chéri du ciel, mon salut et ma joie,
aux conseils des
méchants ton roi n'est plus en proie.
Mes yeux sont dessillés, le crime est
confondu.
Viens briller près de moi dans le rang qui t'est dû.
Je te
donne d'Aman les biens et la puissance:
possède justement son injuste
opulence.
Je romps le joug funeste où les Juifs sont soumis;
je leur
livre le sang de tous leurs ennemis;
à l'égal des Persans je veux qu'on
les honore,
et que tout tremble au nom du Dieu qu'Esther
adore.
Rebâtissez son temple, et peuplez vos cités.
Que vos heureux
enfants dans leurs solennités
consacrent de ce jour le triomphe et la
gloire,
et qu'à jamais mon nom vive dans leur mémoire.
ACTE III , SCENE VIII .
Assuérus.
Que veut Asaph
?
Asaph.
Seigneur, le traître est expiré,
par le peuple en fureur à
moitié déchiré.
On traîne, on va donner en spectacle funeste
de son corps
tout sanglant le misérable reste.
Mardochée.
Roi, qu'à jamais le ciel
prenne soin de vos jours.
Le péril des Juifs presse, et veut un prompt
secours.
Assuérus.
Oui, je t'entends. Allons, par des ordres
contraires,
révoquer d'un méchant les ordres sanguinaires.
Esther.
Ô
Dieu, par quelle route inconnue aux mortels
ta sagesse conduit ses desseins
éternels!
ACTE III , SCENE IX .
Tout le chur.
Dieu fait triompher l'
innocence:
chantons, célébrons sa puissance.
Une israélite.
Il a vu
contre nous les méchants s'assembler,
et notre sang prêt à couler.
Comme
l'eau sur la terre ils alloient le répandre:
du haut du ciel sa voix s'est
fait entendre;
l'homme superbe est renversé.
Ses propres flèches l'ont
percé.
Une autre.
J'ai vu l'impie adoré sur la terre.
Pareil au
cèdre, il cachoit dans les cieux
son front audacieux.
Il sembloit à son
gré gouverner le tonnerre,
fouloit aux pieds ses ennemis vaincus.
Je n'ai
fait que passer, il n'étoit déjà plus.
Une autre.
On peut des plus
grands rois surprendre la justice.
Incapables de tromper,
ils ont peine à
s'échapper
des piéges de l'artifice.
Un cur noble ne peut soupçonner
en autrui
la bassesse et la malice
qu'il ne sent point en lui.
Une autre.
Comment s'est calmé l'orage?
Une autre.
Quelle main salutaire
a chassé le nuage?
Tout le chur.
L'aimable Esther a fait ce grand
ouvrage.
Une israélite seule.
De l'amour de son Dieu son cur s'est
embrasé;
au péril d'une mort funeste
son zèle ardent s'est
exposé.
Elle a parlé. Le ciel a fait le reste.
Deux israélites.
Esther a
triomphé des filles des Persans.
La nature et le ciel à l'envi l'ont
ornée.
L'une des deux.
Tout ressent de ses yeux les charmes
innocents.
Jamais tant de beauté fut-elle couronnée?
L'autre.
Les
charmes de son cur sont encor plus puissants.
Jamais tant de vertu fut-elle
couronnée?
Toutes deux ensemble.
Esther a triomphé des filles des
Persans.
La nature et le ciel à l'envi l'ont ornée.
Une israélite
seule.
Ton Dieu n'est plus irrité.
Réjouis-toi, Sion, et sors de la
poussière.
Quitte les vêtements de ta captivité,
et reprends ta splendeur
première.
Les chemins de Sion à la fin sont ouverts.
Rompez vos
fers,
tribus captives.
Troupes fugitives,
repassez les monts et les
mers.
Rassemblez-vous des bouts de l'univers.
Tout le chur.
Rompez
vos fers,
tribus captives.
Troupes fugitives,
repassez les monts et les
mers.
Rassemblez-vous des bouts de l'univers.
Une israélite seule.
Je
reverrai ces campagnes si chères.
Une autre.
J'irai pleurer au tombeau de
mes pères.
Tout le chur.
Repassez les monts et les
mers.
Rassemblez-vous des bouts de l'univers.
Une israélite seule.
Relevez, relevez les superbes portiques
du temple où notre Dieu se
plaît d'être adoré.
Que de l'or le plus pur son autel soit paré,
et que
du sein des monts le marbre soit tiré.
Liban, dépouille-toi de tes cèdres
antiques.
Prêtres sacrés, préparez vos cantiques.
Une autre.
Dieu
descend et revient habiter parmi nous.
Terre, frémis d'allégresse et de
crainte;
et vous, sous sa majesté sainte,
cieux, abaissez-vous!
Une autre.
Que le seigneur est bon! Que son joug est aimable!
Heureux qui dès l'enfance en
connoît la douceur!
Jeune peuple, courez à ce maître adorable.
Les biens
les plus charmants n'ont rien de comparable
aux torrents de plaisirs qu'il
répand dans un cur.
Que le seigneur est bon! Que son joug est aimable
!
Heureux qui dès l'enfance en connoît la douceur!
Une autre.
Il s'
apaise, il pardonne.
Du cur ingrat qui l'abandonne
il attend le
retour.
Il excuse notre foiblesse.
à nous chercher même il s'
empresse.
Pour l'enfant qu'elle a mis au jour
une mère a moins de
tendresse.
Ah! Qui peut avec lui partager notre amour?
Trois israélites.
Il nous fait remporter une illustre victoire.
L'une des trois.
Il nous a révélé sa gloire.
Toutes trois ensemble.
Ah! Qui peut
avec lui partager notre amour?
Tout le chur.
Que son nom soit béni;
que son nom soit chanté.
Que l'on célèbre ses ouvrages
au delà des temps et des
âges,
au delà de l'éternité!