Mithridate
par Jean Racine
ACTE I , SCENE PREMIERE .
Xipharès.
On nous faisoit, Arbate,
un fidèle rapport:
Rome en effet triomphe, et Mithridate est mort.
Les
Romains, vers l'Euphrate, ont attaqué mon père,
et trompé dans la nuit sa
prudence ordinaire.
Après un long combat, tout son camp dispersé
dans la
foule des morts, en fuyant, l'a laissé;
et j'ai su qu'un soldat dans les
mains de Pompée
avec son diadème a remis son épée.
Ainsi ce roi, qui seul
a durant quarante ans
lassé tout ce que Rome eut de chefs importants,
et
qui dans l'orient balançant la fortune,
vengeoit de tous les rois la
querelle commune,
meurt, et laisse après lui, pour venger son trépas,
deux
fils infortunés qui ne s'accordent pas.
Arbate.
Vous, seigneur! Quoi?
L'ardeur de régner en sa place
rend déjà Xipharès ennemi de Pharnace?
Xipharès.
Non, je ne prétends point, cher Arbate, à ce prix
d'un
malheureux empire acheter le débris.
Je sais en lui des ans respecter l'avantage;
et content des états marqués pour mon partage,
je verrai sans
regret tomber entre ses mains
tout ce que lui promet l'amitié des
Romains.
Arbate.
L'amitié des Romains! Le fils de Mithridate,
seigneur! Est-il bien vrai?
Xipharès.
N'en doute point,
Arbate.
Pharnace, dès longtemps tout Romain dans le cur,
attend tout
maintenant de Rome et du vainqueur.
Et moi, plus que jamais à mon père
fidèle,
je conserve aux Romains une haine immortelle.
Cependant et ma
haine et ses prétentions
sont les moindres sujets de nos
divisions.
Arbate.
Et quel autre intérêt contre lui vous anime
?
Xipharès.
Je m'en vais t'étonner. Cette belle Monime,
qui du roi notre père attira
tous les vux,
dont Pharnace, après lui, se déclare
amoureux...
Arbate.
Hé bien, seigneur?
Xipharès.
Je l'aime, et ne
veux plus m'en taire,
puisqu'enfin pour rival je n'ai plus que mon
frère.
Tu ne t'attendois pas sans doute à ce discours;
mais ce n'est
point, Arbate, un secret de deux jours.
Cet amour s'est longtemps accru dans
le silence.
Que n'en puis-je à tes yeux marquer la violence,
et mes
premiers soupirs, et mes derniers ennuis?
Mais en l'état funeste où nous
sommes réduits,
ce n'est guère le temps d'occuper ma mémoire
à rappeler
le cours d'une amoureuse histoire.
Qu'il te suffise donc, pour me
justifier,
que je vis, que j'aimai la reine le premier;
que mon père
ignoroit jusqu'au nom de Monime,
quand je conçus pour elle un amour
légitime.
Il la vit. Mais au lieu d'offrir à ses beautés
un hymen, et des
vux dignes d'être écoutés,
il crut que sans prétendre une plus haute
gloire,
elle lui céderoit une indigne victoire.
Tu sais par quels efforts
il tenta sa vertu,
et que lassé d'avoir vainement combattu,
absent, mais
toujours plein de son amour extrême,
il lui fit par tes mains porter son
diadème.
Juge de mes douleurs, quand des bruits trop certains
m'
annoncèrent du roi l'amour et les desseins;
quand je sus qu'à son lit
Monime réservée,
avoit pris, avec toi, le chemin de Nymphée!
Hélas! Ce fut encor dans ce
temps odieux
qu'aux offres des Romains ma mère ouvrit les yeux;
ou pour
venger sa foi par cet hymen trompée,
ou ménageant pour moi la faveur de
Pompée,
elle trahit mon père, et rendit aux Romains
la place et les
trésors confiés en ses mains.
Quel devins-je au récit du crime de ma mère
!
Je ne regardai plus mon rival dans mon père;
j'oubliai mon amour par
le sien traversé:
je n'eus devant les yeux que mon père offensé.
J'
attaquai les Romains; et ma mère éperdue
me vit, en reprenant cette place
rendue,
à mille coups mortels contre eux me dévouer,
et chercher, en
mourant, à la désavouer.
L'Euxin, depuis ce temps, fut libre, et l'est
encore;
et des rives de Pont aux rives du Bosphore,
tout reconnut mon
père, et ses heureux vaisseaux
n'eurent plus d'ennemis que les vents et les
eaux.
Je voulois faire plus. Je prétendois, Arbate,
moi-même à son secours
m'avancer vers l'Euphrate.
Je fus soudain frappé du bruit de son
trépas.
Au milieu de mes pleurs, je ne le cèle pas,
Monime, qu'en tes
mains mon père avoit laissée,
avec tous ses attraits revint en ma
pensée.
Que dis-je? En ce malheur je tremblai pour ses jours;
je
redoutai du roi les cruelles amours.
Tu sais combien de fois ses jalouses
tendresses
ont pris soin d'assurer la mort de ses maîtresses.
Je volai
vers Nymphée; et mes tristes regards
rencontrèrent Pharnace au pied
de ses remparts.
J'en conçus, je l'avoue, un présage funeste.
Tu nous
reçus tous deux, et tu sais tout le reste.
Pharnace, en ses desseins toujours
impétueux,
ne dissimula point ses vux présomptueux.
De mon père à la
reine il conta la disgrâce,
l'assura de sa mort, et s'offrit en sa
place.
Comme il le dit, Arbate, il veut l'exécuter.
Mais enfin, à mon
tour, je prétends éclater.
Autant que mon amour respecta la puissance
d'
un père, à qui je fus dévoué dès l'enfance,
autant ce même amour, maintenant
révolté,
de ce nouveau rival brave l'autorité.
Ou Monime, à ma flamme
elle-même contraire,
condamnera l'aveu que je prétends lui faire;
ou
bien, quelques malheurs qu'il en puisse avenir,
ce n'est que par ma mort
qu'on la peut obtenir.
Voilà tous les secrets que je voulois t'
apprendre.
C'est à toi de choisir quel parti tu dois prendre,
qui des
deux te paroît plus digne de ta foi,
l'esclave des Romains, ou le fils de
ton roi.
Fier de leur amitié, Pharnace croit peut-être
commander dans
Nymphée, et me parler en maître.
Mais ici mon pouvoir ne connoît point le
sien:
le Pont est son partage, et Colchos est le mien;
et l'on sait que
toujours la Colchide et ses princes
ont compté ce Bosphore au rang de leurs
provinces.
Arbate.
Commandez-moi, seigneur. Si j'ai quelque pouvoir,
mon choix est déjà fait, je
ferai mon devoir.
Avec le même zèle, avec la même audace
que je servois le
père et gardois cette place
et contre votre frère, et même contre
vous,
après la mort du roi, je vous sers contre tous.
Sans vous, ne
sais-je pas que ma mort assurée
de Pharnace en ces lieux alloit suivre l'
entrée?
Sais-je pas que mon sang, par ses mains répandu,
eût souillé ce
rempart contre lui défendu?
Assurez-vous du cur et du choix de la
reine.
Du reste, ou mon crédit n'est plus qu'une ombre vaine,
ou
Pharnace, laissant le Bosphore en vos mains,
ira jouir ailleurs des bontés
des Romains.
Xipharès.
Que ne devrai-je point à cette ardeur extrême
!
Mais on vient. Cours, ami: c'est Monime elle-même.
ACTE I , SCENE II .
Monime.
Seigneur, je viens à vous. Car
enfin aujourd'hui,
si vous m'abandonnez, quel sera mon appui?
Sans
parents, sans amis, désolée et craintive,
reine longtemps de nom, mais en
effet captive,
et veuve maintenant sans avoir eu d'époux,
seigneur, de
mes malheurs ce sont là les plus doux.
Je tremble à vous nommer l'ennemi qui
m'opprime.
J'espère toutefois qu'un cur si magnanime
ne sacrifiera
point les pleurs des malheureux
aux intérêts du sang qui vous unit tous
deux.
Vous devez à ces mots
reconnoître Pharnace.
C'est lui, seigneur, c'est lui dont la coupable
audace
veut, la force à la main, m'attacher à son sort
par un hymen pour
moi plus cruel que la mort.
Sous quel astre ennemi faut-il que je sois née
?
Au joug d'un autre hymen sans amour destinée,
à peine je suis libre et
goûte quelque paix,
qu'il faut que je me livre à tout ce que je
hais.
Peut-être je devrois, plus humble en ma misère,
me souvenir du moins
que je parle à son frère.
Mais, soit raison, destin, soit que ma haine en
lui
confonde les Romains dont il cherche l'appui,
jamais hymen formé sous
le plus noir auspice
de l'hymen que je crains n'égala le supplice.
Et si
Monime en pleurs ne vous peut émouvoir,
si je n'ai plus pour moi que mon
seul désespoir,
au pied du même autel où je suis attendue,
seigneur, vous
me verrez, à moi-même rendue,
percer ce triste cur qu'on veut
tyranniser,
et dont jamais encor je n'ai pu
disposer.
Xipharès.
Madame, assurez-vous de mon obéissance;
vous avez
dans ces lieux une entière puissance.
Pharnace ira, s'il veut, se faire
craindre ailleurs.
Mais vous ne savez pas encor tous vos
malheurs.
Monime.
Hé! Quel nouveau malheur peut affliger
Monime,
seigneur?
Xipharès.
Si vous aimer c'est faire un si grand
crime,
Pharnace n'en est pas seul coupable aujourd'hui;
et je suis
mille fois plus criminel que lui.
Monime.
Vous!
Xipharès.
Mettez ce malheur
au rang des plus funestes;
attestez, s'il le faut, les puissances
célestes
contre un sang malheurux, né pour vous tourmenter,
père, enfants,
animés à vous persécuter.
Mais avec quelque ennui que vous puissiez
apprendre
cet amour criminel qui vient de vous surprendre,
jamais tous vos
malheurs ne sauroient approcher
des maux que j'ai soufferts en le voulant
cacher.
Ne croyez point pourtant que semblable à Pharnace,
je vous serve
aujourd'hui pour me mettre en sa place.
Vous voulez être à vous j'en ai
donné ma foi,
et vous ne dépendrez ni de lui ni de moi.
Mais quand je vous
aurai pleinement satisfaite,
en quels lieux avez-vous choisi votre retraite
?
Sera-ce loin, madame, ou près de mes états?
Me sera-t-il permis d'y
conduire vos pas?
Verrez-vous d'un même il le crime et l'innocence
?
En fuyant mon rival, fuirez-vous ma présence?
Pour prix d'avoir si
bien secondé vos souhaits,
faudra-t-il me résoudre à ne vous voir jamais
?
Monime.
Ah! Que m'apprenez-vous?
Xipharès.
Hé quoi? Belle
Monime,
si le temps peut donner quelque droit légitime,
faut-il vous dire
ici que le premier de tous
je vous vis, je formai le dessein d'être à
vous,
quand vos charmes naissants, inconnus à mon père,
n'avoient encor
paru qu'aux yeux de votre mère?
Ah! Si par mon devoir forcé de vous
quitter,
tout mon amour alors ne put pas éclater,
ne vous souvient-il
plus, sans compter tout le reste,
combien je me plaignis de ce devoir funeste
?
Ne vous souvient-il plus, en
quittant vos beaux yeux,
quelle vive douleur attendrit mes adieux?
Je m'
en souviens tout seul. Avouez-le, madame,
je vous rappelle un songe effacé de
votre âme.
Tandis que loin de vous, sans espoir de retour,
je nourrissois
encore un malheureux amour,
contente, et résolue à l'hymen de mon
père,
tous les malheurs du fils ne vous affligeoient
guère.
Monime.
Hélas!
Xipharès.
Avez-vous plaint un moment mes
ennuis?
Monime.
Prince... N'abusez point de l'état où je
suis.
Xipharès.
En abuser, Ô ciel! Quand je cours vous défendre,
sans
vous demander rien, sans oser rien prétendre;
que vous dirai-je enfin!
Lorsque je vous promets
de vous mettre en état de ne me voir jamais
!
Monime.
C'est me promettre plus que vous ne sauriez
faire.
Xipharès.
Quoi? Malgré mes serments, vous croyez le contraire
?
Vous croyez qu'abusant de mon autorité,
je prétends attenter à votre
liberté?
On vient, madame, on vient. Expliquez-vous, de grâce.
Un
mot.
Monime.
Défendez-moi des fureurs de Pharnace.
Pour me faire,
seigneur, consentir à vous voir
vous n'aurez pas besoin d'un injuste
pouvoir.
Xipharès.
Ah!
Madame...
Monime.
Seigneur, vous voyez votre frère.
ACTE I , SCENE III .
Pharnace.
Jusques à quand, madame,
attendrez-vous mon père?
Des témoins de sa mort viennent à tous
moments
condamner votre doute et vos retardements.
Venez, fuyez l'aspect
de ce climat sauvage,
qui ne parle à vos yeux que d'un triste
esclavage.
Un peuple obéissant vous attend à genoux,
sous un ciel plus
heureux et plus digne de vous.
Le Pont vous reconnoît dès longtemps pour sa
reine:
vous en portez encor la marque souveraine;
et ce bandeau royal
fut mis sur votre front
comme un gage assuré de l'empire de Pont.
Maître
de cet état que mon père me laisse,
madame, c'est à moi d'accomplir sa
promesse.
Mais il faut, croyez-moi, sans attendre plus tard,
ainsi que
notre hymen presser notre départ.
Nos intérêts communs et mon cur le
demandent.
Prêts à vous recevoir, mes vaisseaux vous attendent,
et du pied
de l'autel vous y pouvez monter,
souveraine des mers qui vous doivent
porter.
Monime.
Seigneur, tant de bontés ont lieu de me confondre.
Mais
puisque le temps presse, et qu'il faut vous répondre,
puis-je, laissant la
feinte et les déguisements,
vous découvrir ici mes secrets
sentiments?
Pharnace.
Vous pouvez tout.
Monime.
Je crois que je
vous suis connue.
éphèse est mon pays; mais je suis descendue
d'aïeux,
ou rois, seigneur, ou héros, qu'autrefois
leur vertu, chez les Grecs, mit
au-dessus des rois.
Mithridate me vit. éphèse, et l'Ionie,
à son heureux
empire étoit alors unie.
Il daigna m'envoyer ce gage de sa foi.
Ce fut
pour ma famille une suprême loi:
il fallut obéir. Esclave couronnée,
je
partis pour l'hymen où j'étois destinée.
Le roi, qui m'attendoit au sein
de ses états,
vit emporter ailleurs ses desseins et ses pas,
et tandis que
la guerre occupoit son courage,
m'envoya dans ces lieux éloignés de l'
orage.
J'y vins: j'y suis encor. Mais cependant, seigneur,
mon père
paya cher ce dangereux honneur,
et les Romains vainqueurs, pour première
victime,
prirent Philopmen, le père de Monime.
Sous ce titre funeste il
se vit immoler;
et c'est de quoi, seigneur, j'
ai voulu vous parler.
Quelque juste fureur dont je sois animée,
je ne puis
point à Rome opposer une armée;
inutile témoin de tous ses attentats,
je
n'ai pour me venger ni sceptre ni soldats;
enfin, je n'ai qu'un cur.
Tout ce que je puis faire,
c'est de garder la foi que je dois à mon
père,
de ne point dans son sang aller tremper mes mains
en épousant en
vous l'allié des Romains.
Pharnace.
Que parlez-vous de Rome et de son
alliance?
Pourquoi tout ce discours et cette défiance?
Qui vous dit qu'
avec eux je prétends m'allier?
Monime.
Mais vous-même, seigneur,
pouvez-vous le nier?
Comment m'offririez-vous l'entrée et la
couronne
d'un pays que partout leur armée environne,
si le traité secret
qui vous lie aux Romains
ne vous en assuroit l'empire et les chemins
?
Pharnace.
De mes intentions je pourrois vous instruire,
et je sais
les raisons que j'aurois à vous dire,
si laissant en effet les vains
déguisements,
vous m'aviez expliqué vos secrets sentiments.
Mais enfin je
commence, après tant de traverses,
madame, à rassembler vos excuses diverses
;
je crois voir l'intérêt que vous voulez celer,
et qu'un autre qu'un
père ici vous fait parler.
Xipharès.
Quel que soit l'intérêt qui fait
parler la reine,
la réponse, seigneur, doit-elle
être incertaine?
Et contre les Romains votre ressentiment
doit-il pour
éclater balancer un moment?
Quoi? Nous aurons d'un père entendu la
disgrâce,
et lents à le venger, prompts à remplir sa place,
nous mettrons
notre honneur et son sang en oubli?
Il est mort: savons-nous s'il est
enseveli?
Qui sait si dans le temps que votre âme empressée
forme d'un
doux hymen l'agréable pensée,
ce roi, que l'orient tout plein de ses
exploits
peut nommer justement le dernier de ses rois,
dans ses propres
états privé de sépulture,
ou couché sans honneur dans une foule
obscure,
n'accuse point le ciel qui le laisse outrager,
et des indignes
fils qui n'osent le venger?
Ah! Ne languissons plus dans un coin du
Bosphore.
Si dans tout l'univers quelque roi libre encore,
Parthe, Scythe
ou Sarmate, aime sa liberté,
voilà nos alliés: marchons de ce
côté.
Vivons, ou périssons dignes de Mithridate;
et songeons bien plutôt,
quelque amour qui nous flatte,
à défendre du joug et nous et
nos états,
qu'à contraindre des curs qui ne se donnent
pas.
Pharnace.
Il sait vos sentiments. Me trompois-je, madame?
Voilà
cet intérêt si puissant sur votre âme,
ce père, ces Romains que vous me
reprochez.
Xipharès.
J'ignore de son cur les sentiments cachés
;
mais je m'y soumettrois sans vouloir rien prétendre,
si, comme vous,
seigneur, je croyois les entendre.
Pharnace.
Vous feriez bien; et moi, je
fais ce que je doi:
votre exemple n'est pas une règle pour
moi.
Xipharès.
Toutefois en ces lieux je ne connois personne
qui ne
doive imiter l'exemple que je donne.
Pharnace.
Vous pourriez à Colchos
vous expliquer ainsi.
Xipharès.
Je le puis à Colchos, et je le puis
ici.
Pharnace.
Ici? Vous y pourriez rencontrer votre perte...
ACTE I , SCENE IV .
Phædime.
Princes, toute la mer est de
vaisseaux couverte;
et bientôt, démentant le faux bruit de sa
mort,
Mithridate lui-même arrive dans le port.
Monime.
Mithridate!
Xipharès.
Mon père
!
Pharnace.
Ah! Que viens-je d'entendre?
Phædime.
Quelques
vaisseaux légers sont venus nous l'apprendre:
c'est lui-même; et déjà,
pressé de son devoir,
Arbate loin du bord l'est allé
recevoir.
Xipharès.
Qu'avons-nous fait?
Monime, à Xipharès.
Adieu,
prince. Quelle nouvelle!
ACTE I , SCENE V .
Pharnace.
Mithridate revient? Ah!
Fortune cruelle!
Ma vie et mon amour tous deux courent hasard,
les
Romains que j'attends arriveront trop tard.
(à Xipharès.)
comment faire?
J'entends que votre cur soupire,
et j'ai conçu l'adieu qu'elle vient de
vous dire,
prince; mais ce discours demande un autre temps:
nous avons
aujourd'hui des soins plus importants.
Mithridate revient, peut-être
inexorable:
plus il est malheureux, plus il est redoutable.
Le péril est
pressant plus que vous ne pensez.
Nous sommes criminels, et vous le
connoissez.
Rarement l'amitié désarme sa colère;
ses propres fils n'ont point
de juge plus sévère;
et nous l'avons vu même à ses cruels
soupçons
sacrifier deux fils pour de moindres raisons.
Craignons pour
vous, pour moi, pour la reine elle-même:
je la plains d'autant plus que
Mithridate l'aime.
Amant avec transport, mais jaloux sans retour,
sa
haine va toujours plus loin que son amour.
Ne vous assurez point sur l'amour
qu'il vous porte:
sa jalouse fureur n'en sera que plus forte.
Songez-y.
Vous avez la faveur des soldats,
et j'aurai des secours que je n'explique
pas.
M'en croirez-vous? Courons assurer notre grâce:
rendons-nous, vous
et moi, maîtres de cette place;
et faisons qu'à ses fils il ne puisse
dicter
que les conditions qu'ils voudront accepter.
Xipharès.
Je sais
quel est mon crime, et je connois mon père;
et j'ai par-dessus vous le
crime de ma mère;
mais quelque amour encor qui me pût éblouir,
quand mon
père paroît, je ne sais qu'obéir.
Pharnace.
Soyons-nous donc au moins
fidèles l'un à l'autre:
vous savez mon secret, j'ai pénétré le
vôtre.
Le roi, toujours fertile en dangereux détours,
s'armera contre
nous de nos moindres discours.
Vous savez sa coutume, et sous
quelles tendresses
sa haine sait cacher ses trompeuses adresses.
Allons.
Puisqu'il le faut, je marche sur vos pas.
Mais en obéissant ne nous
trahissons pas.
ACTE II , SCENE PREMIERE .
Phaedime.
Quoi? Vous êtes ici
quand Mithridate arrive,
quand, pour le recevoir, chacun court sur la rive
?
Que faites-vous, madame? Et quel ressouvenir
tout à coup vous arrête,
et vous fait revenir?
N'offenserez-vous point un roi qui vous adore,
qui
presque votre époux...
Monime.
Il ne l'est pas encore,
Phaedime; et
jusque-là je crois que mon devoir
est de l'attendre ici, sans l'aller
recevoir.
Phædime.
Mais ce n'est point, madame, un amant
ordinaire.
Songez qu'à ce grand roi promise par un père,
vous avez de ses
feux un gage solennel,
qu'il peut, quand il voudra, confirmer à l'
autel.
Croyez-moi, montrez-vous, venez à sa rencontre.
Monime.
Regarde
en quel état tu veux que je me montre.
Vois ce visage en pleurs; et loin de
le chercher,
dis-moi plutôt, dis-moi que je m'aille
cacher.
Phædime.
Que dites-vous? Ô dieux!
Monime.
Ah! Retour qui
me tue!
Malheureuse! Comment
paroîtrai-je à sa vue,
son diadème au front, et dans le fond du
cur,
Phaedime... Tu m'entends, et tu vois ma
rougeur.
Phædime.
Ainsi vous retombez dans les mêmes alarmes
qui vous
ont dans la Grèce arraché tant de larmes?
Et toujours Xipharès revient vous
traverser?
Monime.
Mon malheur est plus grand que tu ne peux
penser.
Xipharès ne s'offroit alors à ma mémoire
que tout plein de
vertus, que tout brillant de gloire;
et je ne savois pas que pour moi plein
de feux,
Xipharès des mortels fût le plus amoureux.
Phædime.
Il vous
aime, madame? Et ce héros aimable...
Monime.
Est aussi malheureux que je
suis misérable.
Il m'adore, Phaedime; et les mêmes douleurs
qui m'
affligeoient ici le tourmentoient ailleurs.
Phædime.
Sait-il en sa faveur
jusqu'où va votre estime?
Sait-il que vous l'aimez?
Monime.
Il l'
ignore, Phaedime.
Les dieux m'ont secourue; et mon cur affermi
n'a
rien dit, ou du moins n'a parlé qu'à demi.
Hélas! Si tu savois, pour
garder le silence,
combien ce triste cur s'est fait de violence!
Quels
assauts, quels combats j'ai tantôt soutenus!
Phaedime, si je puis, je ne le
verrai plus.
Malgré tous les efforts que je pourrois me faire,
je verrois
ses douleurs, je ne pourrois me taire.
Il viendra, malgré moi, m'arracher
cet aveu.
Mais n'importe, s'il m'aime, il en jouira peu;
je lui vendrai si cher ce
bonheur qu'il ignore,
qu'il vaudroit mieux pour lui qu'il l'ignorât
encore.
Phædime.
On vient. Que faites-vous, madame?
Monime.
Je ne
puis.
Je ne paroîtrai point dans le trouble où je suis.
ACTE II , SCENE II .
Mithridate.
Princes, quelques raisons
que vous me puissiez dire,
votre devoir ici n'a point dû vous
conduire,
ni vous faire quitter, en de si grands besoins,
vous le Pont,
vous Colchos, confiés à vos soins.
Mais vous avez pour juge un père qui vous
aime.
Vous avez cru des bruits que j'ai semés moi-même;
je vous crois
innocents, puisque vous le voulez,
et je rends grâce au ciel qui nous a
rassemblés.
Tout vaincu que je suis, et voisin du naufrage,
je médite un
dessein digne de mon courage.
Vous en serez tantôt instruits plus
amplement.
Allez, et laissez-moi reposer un moment.
ACTE II , SCENE III .
Mithridate.
Enfin, après un an, tu me
revois, Arbate,
non plus, comme autrefois, cet heureux Mithridate
qui de
Rome toujours balançant le destin,
tenois entre elle et moi l'univers
incertain.
Je suis vaincu. Pompée a saisi l'avantage
d'une nuit qui
laissoit peu de place au courage.
Mes soldats presque nus, dans l'ombre
intimidés,
les rangs de toutes parts mal pris et mal gardés,
le désordre
partout redoublant les alarmes,
nous-mêmes contre nous tournant nos propres
armes,
les cris que les rochers renvoyoient plus affreux,
enfin toute l'
horreur d'un combat ténébreux:
que pouvoit la valeur dans ce trouble
funeste?
Les uns sont morts, la fuite a sauvé tout le reste;
et je ne
dois la vie, en ce commun effroi,
qu'au bruit de mon trépas que je laisse
après moi.
Quelque temps inconnu, j'ai traversé le Phase;
et de là,
pénétrant jusqu'au pied du Caucase,
bientôt dans des vaisseaux sur l'Euxin
préparés,
j'ai rejoint de mon camp les restes séparés.
Voilà par quels
malheurs poussé dans le Bosphore,
j'y trouve des malheurs qui m'attendoient
encore.
Toujours du même amour tu me vois enflammé:
ce cur nourri de
sang, et de guerre affamé,
malgré le faix des ans et du
sort qui m'opprime,
traîne partout l'amour qui l'attache à Monime,
et
n'a point d'ennemis qui lui soient odieux
plus que deux fils ingrats que je
trouve en ces lieux.
Arbate.
Deux fils, seigneur
?
Mithridate.
écoute. à travers ma colère,
je veux bien distinguer
Xipharès de son frère.
Je sais que de tout temps à mes ordres soumis,
il
hait autant que moi nos communs ennemis;
et j'ai vu sa valeur, à me plaire
attachée,
justifier pour lui ma tendresse cachée.
Je sais même, je sais
avec quel désespoir
à tout autre intérêt préférant son devoir,
il courut
démentir une mère infidèle,
et tira de son crime une gloire nouvelle;
et
je ne puis encor ni n'oserois penser
que ce fils si fidèle ait voulu m'
offenser.
Mais tous deux en ces lieux que pouvoient-ils attendre?
L'un
et l'autre à la reine ont-ils osé prétendre?
Avec qui semble-t-elle en
secret s'accorder?
Moi-même de quel il dois-je ici l'aborder?
Parle.
Quelque desir qui m'entraîne auprès d'elle,
il me faut de leurs curs
rendre un compte fidèle.
Qu'est-ce qui s'est passé? Qu'as-tu vu? Que
sais-tu?
Depuis quel temps, pourquoi, comment t'es-tu rendu
?
Arbate.
Seigneur, depuis huit jours l'impatient Pharnace
aborda le
premier au pied de cette place,
et de votre trépas autorisant le
bruit,
dans ces murs aussitôt voulut être introduit.
Je ne m'arrêtai
point à ce bruit téméraire;
et je n'écoutois rien, si le prince son
frère,
bien moins par ses discours,
seigneur, que par ses pleurs,
ne m'eût en arrivant confirmé vos
malheurs.
Mithridate.
Enfin que firent-ils?
Arbate.
Pharnace
entroit à peine
qu'il courut de ses feux entretenir la reine,
et s'
offrir d'assurer par un hymen prochain
le bandeau qu'elle avoit reçu de
votre main.
Mithridate.
Traître! Sans lui donner le loisir de
répandre
les pleurs que son amour auroit dus à ma cendre!
Et son frère
?
Arbate.
Son frère, au moins jusqu'à ce jour,
seigneur, dans ses
desseins n'a point marqué d'amour;
et toujours avec vous son cur d'
intelligence
n'a semblé respirer que guerre et que
vengeance.
Mithridate.
Mais encor quel dessein le conduisoit ici
?
Arbate.
Seigneur, vous en serez tôt ou tard
éclairci.
Mithridate.
Parle, je te l'ordonne, et je veux tout
apprendre.
Arbate.
Seigneur, jusqu'à ce jour, ce que j'ai pu
comprendre,
ce prince a cru pouvoir, après votre trépas,
compter cette
province au rang de ses états;
et sans connoître ici de lois que son
courage,
il venoit par la force appuyer son partage.
Mithridate.
Ah!
C'est le moindre prix qu'il se doit proposer,
si le ciel de mon sort me
laisse disposer.
Oui, je respire, Arbate, et ma joie est extrême.
Je
tremblois, je l'avoue, et pour un fils que j'aime,
et pour moi qui
craignois de perdre un tel appui,
et d'avoir à combattre un rival tel que
lui.
Que Pharnace m'offense, il offre à ma colère
un rival dès longtemps
soigneux de me déplaire,
qui toujours des Romains admirateur secret,
ne s'
est jamais contre eux déclaré qu'à regret.
Et s'il faut que pour lui Monime
prévenue
ait pu porter ailleurs une amour qui m'est due,
malheur au
criminel qui vient me la ravir,
et qui m'ose offenser et n'ose me servir
!
L'aime-t-elle?
Arbate.
Seigneur, je vois venir la
reine.
Mithridate.
Dieux, qui voyez ici mon amour et ma haine,
épargnez
mes malheurs, et daignez empêcher
que je ne trouve encor ceux que je vais
chercher.
Arbate, c'est assez: qu'on me laisse avec elle.
ACTE II , SCENE IV .
Mithridate.
Madame, enfin le ciel près
de vous me rappelle,
et secondant du moins mes plus tendres souhaits,
vous
rend à mon amour plus belle que jamais.
Je ne m'attendois pas que de notre
hyménée
je dusse voir si tard arriver la journée,
ni qu'en vous
retrouvant, mon funeste retour
fît voir mon infortune, et non
pas mon amour.
C'est pourtant cet amour, qui de tant de retraites
ne me
laisse choisir que les lieux où vous êtes;
et les plus grands malheurs
pourront me sembler doux,
si ma présence ici n'en est point un pour
vous.
C'est vous en dire assez, si vous voulez m'entendre.
Vous devez à
ce jour dès longtemps vous attendre;
et vous portez, madame, un gage de ma
foi
qui vous dit tous les jours que vous êtes à moi.
Allons donc assurer
cette foi mutuelle.
Ma gloire loin d'ici vous et moi nous appelle;
et
sans perdre un moment pour ce noble dessein,
aujourd'hui votre époux, il
faut partir demain.
Monime.
Seigneur, vous pouvez tout. Ceux par qui je
respire
vous ont cédé sur moi leur souverain empire;
et quand vous userez
de ce droit tout-puissant,
je ne vous répondrai qu'en vous
obéissant.
Mithridate.
Ainsi, prête à subir un joug qui vous
opprime,
vous n'allez à l'autel que comme une victime;
et moi, tyran d'
un cur qui se refuse au mien,
même en vous possédant je ne vous devrai
rien.
Ah! Madame, est-ce là de quoi me satisfaire?
Faut-il que
désormais, renonçant à vous plaire,
je ne prétende plus qu'à vous tyranniser
?
Mes malheurs, en un mot, me font-ils mépriser?
Ah! Pour tenter encor
de nouvelles conquêtes,
quand je ne verrois pas des routes toutes
prêtes,
quand le sort ennemi m'auroit jeté plus bas,
vaincu, persécuté,
sans secours, sans états,
errant de mers en mers, et moins roi que
pirate,
conservant pour tous biens le
nom de Mithridate,
apprenez que suivi d'un nom si glorieux,
partout de l'
univers j'attacherois les yeux;
et qu'il n'est point de rois, s'ils sont
dignes de l'être,
qui, sur le trône assis, n'enviassent
peut-être
au-dessus de leur gloire un naufrage élevé,
que Rome et quarante
ans ont à peine achevé.
Vous-même, d'un autre il me verriez-vous,
madame,
si ces Grecs vos aïeux revivoient dans votre âme?
Et puisqu'il
faut enfin que je sois votre époux,
n'étoit-il pas plus noble, et plus digne
de vous,
de joindre à ce devoir votre propre suffrage,
d'opposer votre
estime au destin qui m'outrage,
et de me rassurer, en flattant ma
douleur,
contre la défiance attachée au malheur?
Hé quoi? N'avez-vous
rien, madame, à me répondre?
Tout mon empressement ne sert qu'à vous
confondre.
Vous demeurez muette; et loin de me parler,
je vois, malgré
vos soins, vos pleurs prêts à couler.
Monime.
Moi, seigneur? Je n'ai
point de larmes à répandre.
J'obéis. N'est-ce pas assez me faire entendre
?
Et ne suffit-il pas...
Mithridate.
Non, ce n'est pas assez.
Je
vous entends ici mieux que vous ne pensez.
Je vois qu'on m'a dit vrai. Ma
juste jalousie
par vos propres discours est trop bien éclaircie.
Je vois
qu'un fils perfide, épris de vos beautés,
vous a parlé d'amour, et que vous
l'écoutez.
Je vous jette pour lui dans des
craintes nouvelles.
Mais il jouira peu de vos pleurs infidèles,
madame;
et désormais tout est sourd à mes lois,
ou bien vous l'avez vu pour la
dernière fois.
Appelez Xipharès.
Monime.
Ah! Que voulez-vous faire
?
Xipharès...
Mithridate.
Xipharès n'a point trahi son père.
Vous
vous pressez en vain de le désavouer,
et ma tendre amitié ne peut que s'en
louer.
Ma honte en seroit moindre, ainsi que votre crime,
si ce fils en
effet digne de votre estime
à quelque amour encore avoit pu vous
forcer.
Mais qu'un traître, qui n'est hardi qu'à m'offenser,
de qui
nulle vertu n'accompagne l'audace,
que Pharnace, en un mot, ait pu prendre
ma place?
Qu'il soit aimé, madame, et que je sois haï?
ACTE II , SCENE V .
Mithridate.
Venez, mon fils, venez, votre
père est trahi.
Un fils audacieux insulte à ma ruine,
traverse mes
desseins, m'outrage, m'assassine,
aime la reine enfin, lui plaît, et me
ravit
un cur que son devoir à moi seul asservit.
Heureux pourtant,
heureux que dans cette disgrâce
je ne puisse accuser que la main de Pharnace
;
qu'une mère infidèle, un frère audacieux
vous présentent en vain leur
exemple odieux!
Oui, mon fils, c'est vous seul sur qui je me
repose,
vous seul qu'aux grands desseins que mon cur se propose
j'ai
choisi dès longtemps pour digne compagnon,
l'héritier de mon sceptre, et
surtout de mon nom.
Pharnace, en ce moment, et ma flamme offensée
ne
peuvent pas tout seuls occuper ma pensée.
D'un voyage important les soins et
les apprêts,
mes vaisseaux qu'à partir il faut tenir tout prêts,
mes
soldats dont je veux tenter la complaisance,
dans ce même moment demandent ma
présence.
Vous cependant ici veillez pour mon repos;
d'un rival insolent
arrêtez les complots.
Ne quittez point la reine; et s'il se peut,
vous-même
rendez-la moins contraire aux vux d'un roi qui l'
aime.
Détournez-la, mon fils, d'un choix injurieux.
Juge sans intérêt,
vous la convaincrez mieux.
En un mot, c'est assez éprouver ma foiblesse
:
qu'elle ne pousse point cette même tendresse,
que sais-je? à des
fureurs dont mon cur outragé
ne se repentiroit qu'après s'être vengé.
ACTE II , SCENE VI .
Xipharès.
Que dirai-je, madame? Et
comment dois-je entendre
cet ordre, ce discours que je ne puis comprendre
?
Seroit-il vrai, grands dieux!
Que trop aimé de vous,
Pharnace eût en effet mérité ce courroux?
Pharnace
auroit-il part à ce désordre extrême?
Monime.
Pharnace? Ô ciel!
Pharnace? Ah! Qu'entends-je moi-même?
Ce n'est donc pas assez que ce
funeste jour
à tout ce que j'aimois m'arrache sans retour,
et que, de
mon devoir esclave infortunée,
à d'éternels ennuis je me voie enchaînée
?
Il faut qu'on joigne encor l'outrage à mes douleurs!
à l'amour de
Pharnace on impute mes pleurs!
Malgré toute ma haine, on veut qu'il m'ait
su plaire!
Je le pardonne au roi, qu'aveugle sa colère,
et qui de mes
secrets ne peut être éclairci.
Mais vous, seigneur, mais vous, me
traitez-vous ainsi?
Xipharès.
Ah! Madame, excusez un amant qui s'
égare,
qui lui-même, lié par un devoir barbare,
se voit prêt de tout
perdre, et n'ose se venger.
Mais des fureurs du roi que puis-je enfin juger
?
Il se plaint qu'à ses vux un autre amour s'oppose.
Quel heureux
criminel en peut être la cause?
Qui? Parlez.
Monime.
Vous cherchez,
prince, à vous tourmenter.
Plaignez votre malheur, sans vouloir l'
augmenter.
Xipharès.
Je sais trop quel tourment je m'apprête
moi-même.
C'est peu de voir un père épouser ce que j'aime:
voir encore
un rival honoré de vos pleurs,
sans doute c'est pour moi le comble des
malheurs;
mais dans mon désespoir je
cherche à les accroître.
Madame, par pitié, faites-le-moi connoître.
Quel
est-il, cet amant? Qui dois-je soupçonner?
Monime.
Avez-vous tant de
peine à vous l'imaginer?
Tantôt, quand je fuyois une injuste
contrainte,
à qui contre Pharnace ai-je adressé ma plainte?
Sous quel
appui tantôt mon cur s'est-il jeté?
Quel amour ai-je enfin sans colère
écouté?
Xipharès.
Ô ciel! Quoi? Je serois ce bienheureux
coupable
que vous avez pu voir d'un regard favorable?
Vos pleurs pour
Xipharès auroient daigné couler?
Monime.
Oui, prince, il n'est plus
temps de le dissimuler:
ma douleur pour se taire a trop de violence.
Un
rigoureux devoir me condamne au silence;
mais il faut bien enfin, malgré ses
dures lois,
parler pour la première et la dernière fois.
Vous m'aimez dès
longtemps. Une égale tendresse
pour vous, depuis longtemps, m'afflige et m'
intéresse.
Songez depuis quel jour ces funestes appas
firent naître un
amour qu'ils ne méritoient pas;
rappelez un espoir qui ne vous dura
guère,
le trouble où vous jeta l'amour de votre père,
le tourment de me
perdre et de le voir heureux,
les rigueurs d'un devoir contraire à tous nos
vux:
vous n'en sauriez, seigneur, retracer la mémoire,
ni conter vos malheurs, sans
conter mon histoire;
et lorsque ce matin j'en écoutois le cours,
mon
cur vous répondoit tous vos mêmes discours.
Inutile, ou plutôt funeste
sympathie!
Trop parfaite union par le sort démentie!
Ah! Par quel soin
cruel le ciel avoit-il joint
deux curs que l'un pour l'autre il ne
destinoit point?
Car quel que soit vers vous le penchant qui m'
attire,
je vous le dis, seigneur, pour ne plus vous le dire,
ma gloire me
rappelle et m'entraîne à l'autel,
où je vais vous jurer un silence
éternel.
J'entends, vous gémissez; mais telle est ma misère.
Je ne suis
point à vous, je suis à votre père.
Dans ce dessein, vous-même, il faut me
soutenir,
et de mon foible cur m'aider à vous bannir.
J'attends du
moins, j'attends de votre complaisance
que désormais partout vous fuirez ma
présence.
J'en viens de dire assez pour vous persuader
que j'ai trop de
raisons de vous le commander.
Mais après ce moment, si ce cur
magnanime
d'un véritable amour a brûlé pour Monime,
je ne reconnois plus
la foi de vos discours
qu'au soin que vous prendrez de m'éviter
toujours.
Xipharès.
Quelle marque, grands dieux! D'un amour déplorable
!
Combien en un moment heureux et misérable!
De quel comble de gloire et
de félicités
dans quel abîme affreux vous me
précipitez!
Quoi? J'aurai pu toucher un cur comme le vôtre?
Vous
aurez pu m'aimer? Et cependant un autre
possèdera ce cur dont j'attirois
les vux?
Père injuste, cruel, mais d'ailleurs malheureux! ...
Vous
voulez que je fuie et que je vous évite?
Et cependant le roi m'attache à
votre suite.
Que dira-t-il?
Monime.
N'importe, il me faut
obéir.
Inventez des raisons qui puissent l'éblouir.
D'un héros tel que
vous c'est là l'effort suprême:
cherchez, prince, cherchez, pour vous
trahir vous-même,
tout ce que, pour jouir de leurs contentements,
l'amour
fait inventer aux vulgaires amants.
Enfin je me connois, il y va de ma
vie.
De mes foibles efforts ma vertu se défie.
Je sais qu'en vous voyant
un tendre souvenir
peut m'arracher du cur quelque indigne soupir;
que
je verrai mon âme, en secret déchirée,
revoler vers le bien dont elle est
séparée.
Mais je sais bien aussi que s'il dépend de vous
de me faire
chérir un souvenir si doux,
vous n'empêcherez pas que ma gloire
offensée
n'en punisse aussitôt la coupable pensée;
que ma main dans mon
cur ne vous aille chercher,
pour y laver ma honte et vous en
arracher.
Que dis-je? En ce moment, le dernier qui nous reste,
je me sens arrêter par un
plaisir funeste.
Plus je vous parle, et plus, trop foible que je suis,
je
cherche à prolonger le péril que je fuis.
Il faut pourtant, il faut se faire
violence;
et sans perdre en adieux un reste de constance,
je fuis.
Souvenez-vous, prince, de m'éviter,
et méritez les pleurs que vous m'allez
coûter.
Xipharès.
Ah! Madame... Elle fuit, et ne veut plus m'
entendre.
Malheureux Xipharès, quel parti dois-tu prendre?
On t'aime, on
te bannit: toi-même tu vois bien
que ton propre devoir s'accorde avec le
sien.
Cours par un prompt trépas abréger ton supplice.
Toutefois attendons
que son sort s'éclaircisse;
et s'il faut qu'un rival la ravisse à ma
foi,
du moins, en expirant, ne la cédons qu'au roi.
ACTE III , SCENE PREMIERE .
Mithridate.
Approchez, mes
enfants. Enfin l'heure est venue
qu'il faut que mon secret éclate à votre
vue.
à mes nobles projets je vois tout conspirer;
il ne me reste plus qu'
à vous les déclarer.
Je fuis: ainsi le veut la fortune ennemie.
Mais vous
savez trop bien l'histoire de ma vie
pour croire que longtemps soigneux de
me cacher,
j'attende en ces déserts qu'on me vienne chercher.
La guerre
a ses faveurs, ainsi que ses disgrâces.
Déjà plus d'une fois, retournant sur
mes traces,
tandis que l'ennemi, par ma fuite trompé,
tenoit après son
char un vain peuple occupé,
et gravant en airain ses frêles avantages,
de
mes états conquis enchaînoit les images,
le Bosphore m'a vu, par de nouveaux
apprêts,
ramener la terreur du fond de ses marais,
et chassant les Romains
de l'Asie étonnée,
renverser en un jour l'ouvrage d'une année.
D'
autres temps, d'autres soins. L'orient accablé
ne peut plus soutenir leur
effort redoublé.
Il voit plus que jamais ses
campagnes couvertes
de Romains que la guerre enrichit de nos pertes.
Des
biens des nations ravisseurs altérés,
le bruit de nos trésors les a tous
attirés:
ils y courent en foule; et jaloux l'un de l'autre,
désertent
leur pays pour inonder le nôtre.
Moi seul je leur résiste. Ou lassés, ou
soumis,
ma funeste amitié pèse à tous mes amis:
chacun à ce fardeau veut
dérober sa tête.
Le grand nom de Pompée assure sa conquête:
c'est l'
effroi de l'Asie; et loin de l'y chercher,
c'est à Rome, mes fils, que je
prétends marcher.
Ce dessein vous surprend; et vous croyez peut-être
que
le seul désespoir aujourd'hui le fait naître.
J'excuse votre erreur; et
pour être approuvés,
de semblables projets veulent être achevés.
Ne vous
figurez point que de cette contrée
par d'éternels remparts Rome soit
séparée.
Je sais tous les chemins par où je dois passer;
et si la mort
bientôt ne me vient traverser,
sans reculer plus loin l'effet de ma
parole,
je vous rends dans trois mois au pied du Capitole.
Doutez-vous que l'Euxin ne me
porte en deux jours
aux lieux où le Danube y vient finir son cours?
Que
du Scythe avec moi l'alliance jurée
de l'Europe en ces lieux ne me livre l'
entrée?
Recueilli dans leurs ports, accru de leurs soldats,
nous verrons
notre camp grossir à chaque pas.
Daces, Pannoniens, la fière
Germanie,
tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie.
Vous avez vu
l'Espagne, et surtout les Gaulois,
contre ces mêmes murs qu'ils
ont pris autrefois
exciter ma vengeance, et jusque dans la Grèce,
par des
ambassadeurs accuser ma paresse.
Ils savent que sur eux prêt à se
déborder,
ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inonder;
et vous les
verrez tous, prévenant son ravage,
guider dans l'Italie et suivre mon
passage.
C'est là qu'en arrivant, plus qu'en tout le chemin,
vous
trouverez partout l'horreur du nom romain,
et la triste Italie encor toute
fumante
des feux qu'a rallumés sa liberté mourante.
Non, princes, ce n'
est point au bout de l'univers
que Rome fait sentir tout le poids de ses
fers;
et de près inspirant les haines les plus fortes,
tes plus grands
ennemis, Rome, sont à tes portes.
Ah! S'ils ont pu choisir pour leur
libérateur
Spartacus, un esclave, un vil gladiateur,
s'ils suivent au
combat des brigands qui les vengent,
de quelle noble ardeur pensez-vous qu'
ils se rangent
sous les drapeaux d'un roi longtemps victorieux,
qui voit jusqu'à Cyrus
remonter ses aïeux?
Que dis-je? En quel état croyez-vous la surprendre
?
Vide de légions qui la puissent défendre
tandis que tout s'occupe à me
persécuter,
leurs femmes, leurs enfants pourront-ils m'arrêter?
Marchons
; et dans son sein rejetons cette guerre
que sa fureur envoie aux deux bouts
de la terre.
Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers;
qu'ils
tremblent, à leur tour, pour leurs propres foyers.
Annibal l'a prédit,
croyons-en ce grand homme,
jamais on ne vaincra les Romains que dans
Rome.
Noyons-la dans son sang justement répandu.
Brûlons ce Capitole où j'
étois attendu.
Détruisons ses honneurs, et faisons disparaître
la honte de
cent rois, et la mienne peut-être;
et la flamme à la main effaçons tous ces
noms
que Rome y consacroit à d'éternels affronts.
Voilà l'ambition dont
mon âme est saisie.
Ne croyez point pourtant qu'éloigné de l'Asie
j'en
laisse les Romains tranquilles possesseurs.
Je sais où je lui dois trouver
des défenseurs.
Je veux que d'ennemis partout
enveloppée,
Rome rappelle en vain le secours de Pompée.
Le Parthe, des
Romains comme moi la terreur,
consent de succéder à ma juste fureur;
prêt
d'unir avec moi sa haine et sa famille,
il me demande un fils pour époux à
sa fille.
Cet honneur vous regarde, et j'ai fait choix de vous,
Pharnace
: allez, soyez ce bienheureux époux.
Demain, sans différer, je prétends que
l'aurore
découvre mes vaisseaux déjà loin du Bosphore.
Vous que rien n'y
retient, partez dès ce moment,
et méritez mon choix par votre
empressement.
Achevez cet hymen; et repassant l'Euphrate,
faites voir à
l'Asie un autre Mithridate.
Que nos tyrans communs en pâlissent d'
effroi,
et que le bruit à Rome en vienne jusqu'à
moi.
Pharnace.
Seigneur, je ne vous puis déguiser ma surprise.
J'
écoute avec transport cette grande entreprise;
je l'admire; et jamais un
plus hardi dessein
ne mit à des vaincus les armes à la main.
Surtout j'
admire en vous ce cur infatigable
qui semble s'affermir sous le faix qui
l'accable.
Mais si j'ose parler avec sincérité,
en êtes-vous réduit à
cette extrémité?
Pourquoi tenter si loin des courses inutiles,
quand vos
états encor vous offrent tant d'asiles,
et vouloir affronter des travaux
infinis,
dignes plutôt d'un chef de malheureux bannis
que d'un roi qui
naguère, avec quelque apparence,
de l'aurore au couchant portoit son
espérance,
fondoit sur trente états son
trône florissant,
dont le débris est même un empire puissant?
Vous seul,
seigneur, vous seul, après quarante années,
pouvez encor lutter contre les
destinées.
Implacable ennemi de Rome et du repos,
comptez-vous vos soldats
pour autant de héros?
Pensez-vous que ces curs, tremblants de leur
défaite,
fatigués d'une longue et pénible retraite,
cherchent avidement
sous un ciel étranger
la mort, et le travail pire que le danger?
Vaincus
plus d'une fois aux yeux de la patrie,
soutiendront-ils ailleurs un
vainqueur en furie?
Sera-t-il moins terrible, et le vaincront-ils
mieux
dans le sein de sa ville, à l'aspect de ses dieux?
Le Parthe vous
recherche et vous demande un gendre.
Mais ce Parthe, seigneur, ardent à nous
défendre
lorsque tout l'univers sembloit nous protéger,
d'un gendre sans
appui voudra-t-il se charger?
M'en irai-je moi seul, rebut de la
fortune,
essuyer l'inconstance au Parthe si commune;
et peut-être, pour
fruit d'un téméraire amour,
exposer votre nom au mépris de sa cour?
Du
moins, s'il faut céder, si, contre notre usage,
il faut d'un suppliant
emprunter le visage,
sans m'envoyer du Parthe embrasser les genoux,
sans
vous-même implorer des rois moindres que vous,
ne pourrions-nous pas prendre
une plus sûre voie?
Jetons-nous dans les bras qu'on nous tend avec
joie.
Rome en votre faveur facile à
s'apaiser...
Xipharès.
Rome, mon frère! Ô ciel! Qu'osez-vous proposer
?
Vous voulez que le roi s'abaisse et s'humilie?
Qu'il démente en un
jour tout le cours de sa vie?
Qu'il se fie aux Romains, et subisse des
lois
dont il a quarante ans défendu tous les rois?
Continuez, seigneur:
tout vaincu que vous êtes,
la guerre, les périls sont vos seules
retraites.
Rome poursuit en vous un ennemi fatal,
plus conjuré contre elle
et plus craint qu'Annibal.
Tout couvert de son sang, quoi que vous puissiez
faire,
n'en attendez jamais qu'une paix sanguinaire,
telle qu'en un
seul jour un ordre de vos mains
la donna dans l'Asie à cent mille
Romains.
Toutefois épargnez votre tête sacrée.
Vous-même n'allez point,
de contrée en contrée,
montrer aux nations Mithridate
détruit,
et de votre grand nom diminuer le bruit.
Votre vengeance est
juste, il la faut entreprendre:
brûlez le Capitole, et mettez Rome en
cendre.
Mais c'est assez pour vous d'en ouvrir les chemins:
faites
porter ce feu par de plus jeunes mains;
et tandis que l'Asie occupera
Pharnace,
de cette autre entreprise honorez mon audace.
Commandez:
laissez-nous, de votre nom suivis,
justifier partout que nous sommes vos
fils.
Embrasez par nos mains le couchant et l'aurore;
remplissez l'
univers, sans sortir du Bosphore;
que les Romains, pressés de l'un à l'
autre bout,
doutent où vous serez, et vous trouvent partout.
Dès ce même
moment ordonnez que je parte.
Ici tout vous retient; et moi, tout m'en
écarte.
Et si ce grand dessein surpasse ma valeur,
du moins ce désespoir
convient à mon malheur.
Trop heureux d'avancer la fin de ma misère,
j'
irai... J'effacerai le crime de ma mère,
seigneur. Vous m'en voyez rougir à
vos genoux;
j'ai honte de me voir si peu digne de vous;
tout mon sang
doit laver une tache si noire.
Mais je cherche un trépas utile à votre gloire
;
et Rome, unique objet d'un désespoir si beau,
du fils de Mithridate est
le digne tombeau.
Mithridate, se levant.
Mon fils, ne parlons plus d'une
mère infidèle.
Votre père est content, il connoît votre zèle,
et ne vous
verra point affronter de danger
qu'avec vous son amour ne veuille
partager.
Vous me suivrez: je veux que rien ne nous sépare;
et vous, à
m'obéir, prince, qu'on se prépare.
Les vaisseaux sont tout prêts. J'ai
moi-même ordonné
la suite et l'appareil qui
vous est destiné.
Arbate, à cet hymen chargé de vous conduire,
de votre
obéissance aura soin de m'instruire.
Allez, et soutenant l'honneur de vos
aïeux,
dans cet embrassement recevez mes
adieux.
Pharnace.
Seigneur...
Mithridate.
Ma volonté, prince, vous
doit suffire.
Obéissez. C'est trop vous le faire
redire.
Pharnace.
Seigneur, si pour vous plaire il ne faut que
périr,
plus ardent qu'aucun autre on m'y verra courir.
Combattant à vos
yeux, permettez que je meure.
Mithridate.
Je vous ai commandé de partir
tout à l'heure;
mais aprés ce moment... Prince, vous m'entendez,
et
vous êtes perdu si vous me répondez.
Pharnace.
Dussiez-vous présenter
mille morts à ma vue,
je ne saurois chercher une fille inconnue.
Ma vie
est en vos mains.
Mithridate.
Ah! C'est où je t'attends.
Tu ne
saurois partir, perfide, et je t'entends.
Je sais pourquoi tu fuis l'hymen
où je t'envoie:
il te fâche en ces lieux d'abandonner ta proie;
Monime
te retient. Ton amour criminel
prétendoit l'arracher à l'hymen
paternel.
Ni l'ardeur dont tu sais que je l'ai recherchée,
ni déjà sur
son front ma couronne attachée,
ni cet asile même où je la fais garder,
ni mon juste courroux n'ont pu
t'intimider.
Traître, pour les Romains tes lâches complaisances
n'
étoient pas à mes yeux d'assez noires offenses:
il te manquoit encor ces
perfides amours
pour être le supplice et l'horreur de mes jours.
Loin de
t'en repentir, je vois sur ton visage
que ta confusion ne part que de ta
rage:
il te tarde déjà qu'échappé de mes mains
tu ne coures me perdre,
et me vendre aux Romains.
Mais avant que partir, je me ferai justice:
je
te l'ai dit.
ACTE III , SCENE II .
Mithridate.
Holà! Gardes. Qu'on le
saisisse.
Oui, lui-même, Pharnace. Allez, et de ce pas
qu'enfermé dans la
tour on ne le quitte pas.
Pharnace.
Hé bien! Sans me parer d'une
innocence vaine,
il est vrai, mon amour mérite votre haine.
J'aime: l'
on vous a fait un fidèle récit.
Mais Xipharès, seigneur, ne vous a pas tout
dit.
C'est le moindre secret qu'il pouvoit vous apprendre;
et ce fils
si fidèle a dû vous faire entendre
que des mêmes ardeurs dès longtemps
enflammé,
il aime aussi la reine, et même en est aimé.
ACTE III , SCENE III .
Xipharès.
Seigneur, le croirez-vous
qu'un dessein si coupable...
Mithridate.
Mon fils, je sais de quoi votre
frère est capable.
Me préserve le ciel de soupçonner jamais
que d'un prix
si cruel vous payez mes bienfaits,
qu'un fils qui fut toujours le bonheur de
ma vie
ait pu percer ce cur qu'un père lui confie!
Je ne le croirai
point. Allez: loin d'y songer,
je ne vais désormais penser qu'à nous
venger.
ACTE III , SCENE IV .
Mithridate.
Je ne le croirai point?
Vain espoir qui me flatte!
Tu ne le crois que trop, malheureux
Mithridate.
Xipharès mon rival? Et d'accord avec lui
la reine auroit osé
me tromper aujourd'hui?
Quoi? De quelque côté que je tourne la vue,
la
foi de tous les curs est pour moi disparue?
Tout m'abandonne ailleurs?
Tout me trahit ici?
Pharnace, amis, maîtresse; et toi, mon fils, aussi
?
Toi de qui la vertu consolant ma disgrâce...
Mais ne connois-je pas le
perfide Pharnace?
Quelle foiblesse à moi d'en croire un furieux
qu'arme
contre son frère un courroux envieux,
ou dont le désespoir me troublant par
des fables,
grossit, pour se sauver, le nombre des coupables!
Non, ne l'
en croyons point; et sans trop nous presser,
voyons, examinons. Mais par où
commencer?
Qui m'en éclaircira? Quels témoins? Quel indice? ...
Le
ciel en ce moment m'inspire un artifice.
Qu'on appelle la reine. Oui, sans
aller plus loin,
je veux l'ouïr. Mon choix s'arrête à ce témoin.
L'
amour avidement croit tout ce qui le flatte.
Qui peut de son vainqueur mieux
parler que l'ingrate?
Voyons qui son amour accusera des deux.
S'il n'
est digne de moi, le piége est digne d'eux.
Trompons qui nous trahit; et
pour connoître un traître,
il n'est point de moyens... Mais je la vois
paraître:
feignons; et de son cur, d'un vain espoir flatté,
par un
mensonge adroit tirons la vérité.
ACTE III , SCENE V .
Mithridate.
Enfin j'ouvre les yeux, et
je me fais justice.
C'est faire à vos beautés un triste sacrifice,
que de
vous présenter, madame, avec ma foi,
tout l'âge et le malheur que je traîne
avec moi.
Jusqu'ici la fortune et la victoire mêmes
cachoient mes cheveux
blancs sous trente diadèmes.
Mais ce temps-là n'est plus. Je régnois, et je
fuis.
Mes ans se sont accrus; mes honneurs sont détruits;
et mon front,
dépouillé d'un si noble avantage,
du temps, qui l'a flétri, laisse voir
tout l'outrage.
D'ailleurs mille desseins partagent mes esprits:
d'un
camp prêt à partir vous entendez les cris;
sortant de mes vaisseaux, il faut
que j'y remonte.
Quel temps pour un hymen qu'une fuite si
prompte,
madame! Et de quel front vous unir à mon sort,
quand je ne
cherche plus que la guerre et la mort?
Cessez pourtant, cessez de prétendre
à Pharnace.
Quand je me fais justice, il faut qu'on se la fasse.
Je ne
souffrirai point que ce fils odieux,
que je viens pour jamais de bannir de
mes yeux,
possédant une amour qui me fut déniée,
vous fasse des Romains devenir
l'alliée.
Mon trône vous est dû. Loin de m'en repentir,
je vous y place
même, avant que de partir,
pourvu que vous vouliez qu'une main qui m'est
chère,
un fils, le digne objet de l'amour de son père,
Xipharès, en un
mot, devenant votre époux,
me venge de Pharnace, et m'acquitte envers
vous.
Monime.
Xipharès! Lui, seigneur?
Mithridate.
Oui, lui-même,
madame.
D'où peut naître à ce nom le trouble de votre âme?
Contre un si
juste choix qui peut vous révolter?
Est-ce quelque mépris qu'on ne puisse
dompter?
Je le répète encor: c'est un autre moi-même,
un fils
victorieux, qui me chérit, que j'aime,
l'ennemi des Romains, l'héritier et
l'appui
d'un empire et d'un nom qui va renaître en lui;
et quoi que
votre amour ait osé se promettre,
ce n'est qu'entre ses mains que je puis
vous remettre.
Monime.
Que dites-vous? Ô ciel! Pourriez-vous
approuver...
Pourquoi, seigneur, pourquoi voulez-vous m'éprouver?
Cessez
de tourmenter une âme infortunée.
Je sais que c'est à vous que je fus
destinée;
je sais qu'en ce moment, pour ce nud solennel,
la victime,
seigneur, nous attend à l'autel.
Venez.
Mithridate.
Je le vois bien:
quelque effort que je fasse,
madame, vous voulez vous garder à Pharnace.
Je reconnois toujours vos
injustes mépris;
ils ont même passé sur mon malheureux
fils.
Monime.
Je le méprise!
Mithridate.
Hé bien! N'en parlons
plus, madame.
Continuez: brûlez d'une honteuse flamme.
Tandis qu'avec
mon fils je vais, loin de vos yeux,
chercher au bout du monde un trépas
glorieux,
vous cependant ici servez avec son frère,
et vendez aux Romains
le sang de votre père.
Venez. Je ne saurois mieux punir vos dédains,
qu'
en vous mettant moi-même en ses serviles mains;
et sans plus me charger du
soin de votre gloire,
je veux laisser de vous jusqu'à votre
mémoire.
Allons, madame, allons. Je m'en vais vous
unir.
Monime.
Plutôt de mille morts dussiez-vous me punir
!
Mithridate.
Vous résistez en vain, et j'entends votre
fuite.
Monime.
En quelle extrémité, seigneur, suis-je réduite?
Mais
enfin je vous crois, et je ne puis penser
qu'à feindre si longtemps vous
puissiez vous forcer.
Les dieux me sont témoins qu'à vous plaire
bornée
mon âme à tout son sort s'étoit abandonnée.
Mais si quelque
foiblesse avoit pu m'alarmer,
si de tous ses efforts mon cur a dû s'
armer,
ne croyez point, seigneur, qu'auteur de mes alarmes,
Pharnace m'
ait jamais coûté les moindres larmes.
Ce fils victorieux que vous
favorisez,
cette vivante image en qui vous vous plaisez,
cet ennemi de
Rome, et cet autre vous-même,
enfin ce Xipharès que vous voulez que j'
aime...
Mithridate.
Vous l'aimez
?
Monime.
Si le sort ne m'eût donnée à vous,
mon bonheur dépendoit de
l'avoir pour époux.
Avant que votre amour m'eût envoyé ce gage,
nous
nous aimions... Seigneur, vous changez de visage.
Mithridate.
Non, madame.
Il suffit. Je vais vous l'envoyer.
Allez. Le temps est cher. Il le faut
employer.
Je vois qu'à m'obéir vous êtes disposée.
Je suis
content.
Monime, en s'en allant.
Ô ciel! Me serois-je abusée?
ACTE III , SCENE VI .
Mithridate.
Ils s'aiment. C'est ainsi
qu'on se jouoit de nous.
Ah! Fils ingrat. Tu vas me répondre pour
tous.
Tu périras. Je sais combien ta renommée
et tes fausses vertus ont
séduit mon armée.
Perfide, je te veux porter des coups certains:
il faut,
pour te mieux perdre, écarter les mutins,
et faisant à mes yeux partir les
plus rebelles,
ne garder près de moi que des troupes fidèles.
Allons.
Mais, sans montrer un visage offensé,
dissimulons encor, comme j'ai
commencé.
ACTE IV , SCENE PREMIERE .
Monime.
Phaedime, au nom des
dieux, fais ce que je désire:
va voir ce qui se passe, et reviens me le
dire.
Je ne sais; mais mon cur ne se peut rassurer.
Mille soupçons
affreux viennent me déchirer.
Que tarde Xipharès? Et d'où vient qu'il
diffère
à seconder des vux qu'autorise son père?
Son père, en me
quittant, me l'alloit envoyer.
Mais il feignoit peut-être: il falloit tout
nier.
Le roi feignoit? Et moi, découvrant ma pensée...
Ô dieux, en ce
péril m'auriez-vous délaissée?
Et se pourroit-il bien qu'à son
ressentiment
mon amour indiscret eût livré mon amant?
Quoi, prince?
Quand, tout plein de ton amour extrême,
pour savoir mon secret tu me pressois
toi-même,
mes refus trop cruels vingt fois te l'ont caché;
je t'ai même
puni de l'avoir arraché;
et quand de toi peut-être un père se défie,
que
dis-je? Quand peut-être il y va de ta vie,
je parle; et trop facile à me
laisser tromper,
je lui marque le cur où sa main doit
frapper.
Phædime.
Ah! Traitez-le, madame, avec plus de justice:
un
grand roi descend-il jusqu'à cet artifice?
à prendre ce détour qui l'
auroit pu forcer?
Sans murmure, à l'autel vous l'alliez
devancer.
Vouloit-il perdre un fils qu'il aime avec tendresse?
Jusqu'
ici les effets secondent sa promesse:
madame, il vous disoit qu'un
important dessein,
malgré lui, le forçoit à vous quitter demain;
ce seul
dessein l'occupe; et hâtant son voyage,
lui-même ordonne tout, présent sur
le rivage.
Ses vaisseaux en tous lieux se chargent de soldats,
et partout
Xipharès accompagne ses pas.
D'un rival en fureur est-ce là la conduite
?
Et voit-on ses discours démentis par la suite?
Monime.
Pharnace
cependant, par son ordre arrêté,
trouve en lui d'un rival toute la
dureté.
Phaedime, à Xipharès fera-t-il plus de grâce?
Phædime.
C'est
l'ami des Romains qu'il punit en Pharnace.
L'amour a peu de part à ses
justes soupçons.
Monime.
Autant que je le puis, je cède à tes raisons
:
elles calment un peu l'ennui qui me dévore.
Mais pourtant Xipharès ne
paroît point encore.
Phædime.
Vaine erreur des amants, qui pleins de
leurs desirs,
voudroient que tout cédât au soin de leurs plaisirs!
Qui
prêts à s'irriter contre le moindre obstacle...
Monime.
Ma Phaedime, et
qui peut concevoir ce miracle?
Après deux ans d'ennuis, dont tu sais tout
le poids,
quoi? Je puis respirer pour la première fois?
Quoi? Cher
prince, avec toi je me verrois unie?
Et loin que ma tendresse eût exposé ta
vie,
tu verrois ton devoir, je verrois ma vertu
approuver un amour si longtemps
combattu?
Je pourrois tous les jours t'assurer que je t'aime?
Que ne
viens-tu...
ACTE IV , SCENE II .
Monime.
Seigneur, je parlois de
vous-même.
Mon âme souhaitoit de vous voir en ce lieu,
pour
vous...
Xipharès.
C'est maintenant qu'il faut vous dire
adieu.
Monime.
Adieu! Vous?
Xipharès.
Oui, madame, et pour toute
ma vie.
Monime.
Qu'entends-je? On me disoit... Hélas! Ils m'ont
trahie.
Xipharès.
Madame, je ne sais quel ennemi couvert,
révélant nos
secrets, vous trahit, et me perd.
Mais le roi, qui tantôt n'en croyoit point
Pharnace,
maintenant dans nos curs sait tout ce qui se passe.
Il feint,
il me caresse, et cache son dessein;
mais moi, qui dès l'enfance élevé dans
son sein,
de tous ses mouvements ai trop d'intelligence,
j'ai lu dans
ses regards sa prochaine vengeance.
Il presse, il fait partir tous ceux dont
mon malheur
pourroit à la révolte exciter la douleur.
De ses fausses
bontés j'ai connu la contrainte.
Un mot même d'Arbate a
confirmé ma crainte.
Il a su m'aborder; et les larmes aux yeux:
On sait tout, m'a-t-il dit, sauvez-vous de ces lieux.
ce mot m'a fait
frémir du péril de ma reine,
et ce cher intérêt est le seul qui m'
amène.
Je vous crains pour vous-même; et je viens à genoux
vous prier, ma
princesse, et vous fléchir pour vous.
Vous dépendez ici d'une main
violente,
que le sang le plus cher rarement épouvante;
et je n'ose vous
dire à quelle cruauté
Mithridate jaloux s'est souvent emporté.
Peut-être
c'est moi seul que sa fureur menace;
peut-être, en me perdant, il veut vous
faire grâce.
Daignez, au nom des dieux, daignez en profiter;
par de
nouveaux refus n'allez point l'irriter.
Moins vous l'aimez, et plus tâchez
de lui complaire;
feignez, efforcez-vous: songez qu'il est mon
père.
Vivez; et permettez que dans tous mes malheurs
je puisse à votre
amour ne coûter que des pleurs.
Monime.
Ah! Je vous ai perdu
!
Xipharès.
Généreuse Monime,
ne vous imputez point le malheur qui m'
opprime.
Votre seule bonté n'est point ce qui me nuit:
je suis un
malheureux que le destin poursuit;
c'est lui qui m'a ravi l'amitié de mon
père,
qui le fit mon rival, qui révolta ma mère,
et vient de susciter,
dans ce moment affreux,
un secret ennemi pour nous trahir tous
deux.
Monime.
Hé quoi? Cet ennemi, vous l'ignorez encore
?
Xipharès.
Pour surcroît de douleur, madame, je l'ignore.
Heureux si je pouvois, avant
que m'immoler,
percer le traître cur qui m'a pu déceler
!
Monime.
Hé bien! Seigneur, il faut vous le faire connaître.
Ne
cherchez point ailleurs cet ennemi, ce traître;
frappez: aucun respect ne
vous doit retenir.
J'ai tout fait; et c'est moi que vous devez
punir.
Xipharès.
Vous!
Monime.
Ah! Si vous saviez, prince, avec
quelle adresse
le cruel est venu surprendre ma tendresse!
Quelle amitié
sincère il affectoit pour vous!
Content, s'il vous voyoit devenir mon époux
!
Qui n'auroit cru...? Mais non, mon amour plus timide
devoit moins vous
livrer à sa bonté perfide.
Les dieux qui m'inspiroient, et que j'ai mal
suivis,
m'ont fait taire trois fois par de secrets avis.
J'ai dû
continuer; j'ai dû dans tout le reste...
Que sais-je enfin? J'ai dû
vous être moins funeste;
j'ai dû craindre du roi les dons
empoisonnés,
et je m'en punirai, si vous me pardonnez.
Xipharès.
Quoi
? Madame, c'est vous, c'est l'amour qui m'expose?
Mon malheur est parti
d'une si belle cause?
Trop d'amour a trahi nos secrets amoureux?
Et
vous vous excusez de m'avoir fait heureux?
Que voudrois-je de plus?
Glorieux et fidèle,
je meurs. Un autre sort au trône vous
appelle.
Consentez-y, madame; et sans plus résister,
achevez un hymen qui
vous y fait monter.
Monime.
Quoi? Vous me demandez que j'épouse un
barbare
dont l'odieux amour pour jamais nous sépare?
Xipharès.
Songez
que ce matin, soumise à ses souhaits,
vous deviez l'épouser, et ne me voir
jamais.
Monime.
Et connoissois-je alors toute sa barbarie?
Ne
voudriez-vous point qu'approuvant sa furie,
après vous avoir vu tout percé
de ses coups,
je suivisse à l'autel un tyrannique époux,
et que dans une
main de votre sang fumante
j'allasse mettre, hélas! La main de votre amante
?
Allez: de ses fureurs songez à vous garder,
sans perdre ici le temps à
me persuader:
le ciel m'inspirera quel parti je dois prendre.
Que
seroit-ce, grands dieux! S'il venoit vous surprendre?
Que dis-je? On
vient. Allez. Courez. Vivez enfin;
et du moins attendez quel sera mon
destin.
ACTE IV , SCENE III .
Phædime.
Madame, à quels périls il
exposoit sa vie!
C'est le roi.
Monime.
Cours l'aider à cacher sa
sortie.
Va, ne le quitte point; et qu'il se garde bien
d'ordonner de
son sort, sans être instruit du mien.
ACTE IV , SCENE IV .
Mithridate.
Allons, madame, allons. Une
raison secrète
me fait quitter ces lieux et hâter ma retraite.
Tandis que
mes soldats, prêts à suivre leur roi,
rentrent dans mes vaisseaux pour partir
avec moi,
venez, et qu'à l'autel ma promesse accomplie
par des nuds
éternels l'un à l'autre nous lie.
Monime.
Nous, seigneur
?
Mithridate.
Quoi? Madame, osez-vous balancer?
Monime.
Et ne m'
avez-vous pas défendu d'y penser?
Mithridate.
J'eus mes raisons alors:
oublions-les, madame.
Ne songez maintenant qu'à répondre à ma
flamme.
Songez que votre cur est un bien qui m'est dû.
Monime.
Hé! Pourquoi donc,
seigneur, me l'avez-vous rendu?
Mithridate.
Quoi? Pour un fils ingrat
toujours préoccupée,
vous croiriez...
Monime.
Quoi? Seigneur, vous m'
auriez donc trompée?
Mithridate.
Perfide! Il vous sied bien de tenir ce
discours,
vous qui gardant au cur d'infidèles amours,
quand je vous
élevois au comble de la gloire,
m'avez des trahisons préparé la plus
noire.
Ne vous souvient-il plus, cur ingrat et sans foi,
plus que tous
les Romains conjuré contre moi,
de quel rang glorieux j'ai bien voulu
descendre,
pour vous porter au trône où vous n'osiez prétendre?
Ne me
regardez point vaincu, persécuté:
revoyez-moi vainqueur, et partout
redouté.
Songez de quelle ardeur dans éphèse adorée,
aux filles de cent
rois je vous ai préférée;
et négligeant pour vous tant d'heureux
alliés,
quelle foule d'états je mettois à vos pieds.
Ah! Si d'un autre
amour le penchant invincible
dès lors à mes bontés vous rendoit
insensible,
pourquoi chercher si loin un odieux époux?
Avant que de
partir, pourquoi vous taisiez-vous?
Attendiez-vous, pour faire un aveu si
funeste,
que le sort ennemi m'eût ravi tout le reste,
et que de toutes
parts me voyant accabler,
j'eusse en vous le seul bien qui me pût consoler
?
Cependant, quand je veux oublier cet outrage,
et cacher à mon cur
cette funeste image,
vous osez à mes yeux rappeler
le passé,
vous m'accusez encor, quand je suis offensé.
Je vois que pour
un traître un fol espoir vous flatte.
à quelle épreuve, Ô ciel, réduis-tu
Mithridate?
Par quel charme secret laissé-je retenir
ce courroux si
sévère et si prompt à punir?
Profitez du moment que mon amour vous donne
:
pour la dernière fois, venez, je vous l'ordonne.
N'attirez point sur
vous des périls superflus,
pour un fils insolent, que vous ne verrez
plus.
Sans vous parer pour lui d'une foi qui m'est due,
perdez-en la
mémoire, aussi bien que la vue;
et désormais sensible à ma seule
bonté,
méritez le pardon qui vous est présenté.
Monime.
Je n'ai point
oublié quelle reconnoissance,
seigneur, m'a dû ranger sous votre
obéissance.
Quelque rang où jadis soient montés mes aïeux,
leur gloire de
si loin n'éblouit point mes yeux.
Je songe avec respect de combien je suis
née
au-dessous des grandeurs d'un si noble hyménée;
et malgré mon
penchant et mes premiers desseins
pour un fils, après vous le plus grand des
humains,
du jour que sur mon front on mit ce diadème,
je renonçai,
seigneur, à ce prince, à moi-même.
Tous deux d'intelligence à nous
sacrifier,
loin de moi, par mon ordre, il couroit m'oublier.
Dans l'
ombre du secret ce feu s'alloit éteindre;
et même de mon sort je ne pouvois
me plaindre,
puisqu'enfin, aux dépens de mes vux les plus doux,
je
faisois le bonheur d'un héros tel que vous.
Vous seul, seigneur, vous seul,
vous m'avez arrachée
à cette obéissance où j'étois
attachée;
et ce fatal amour dont j'avois triomphé,
ce feu que dans l'
oubli je croyois étouffé,
dont la cause à jamais s'éloignoit de ma
vue,
vos détours l'ont surpris, et m'en ont convaincue.
Je vous l'ai
confessé, je le dois soutenir.
En vain vous en pourriez perdre le souvenir
;
et cet aveu honteux, où vous m'avez forcée,
demeurera toujours présent
à ma pensée.
Toujours je vous croirois incertain de ma foi;
et le
tombeau, seigneur, est moins triste pour moi
que le lit d'un époux qui m'a
fait cet outrage,
qui s'est acquis sur moi ce cruel avantage,
et qui me
préparant un éternel ennui,
m'a fait rougir d'un feu qui n'étoit pas pour
lui.
Mithridate.
C'est donc votre réponse? Et sans plus me
complaire,
vous refusez l'honneur que je voulois vous faire?
Pensez-y
bien. J'attends, pour me déterminer.
Monime.
Non, seigneur, vainement
vous croyez m'étonner.
Je vous connois: je sais tout ce que je m'
apprête,
et je vois quels malheurs j'assemble sur ma tête;
mais le
dessein est pris: rien ne peut m'ébranler.
Jugez-en, puisqu'ainsi je vous
ose parler,
et m'emporte au delà de cette modestie
dont jusqu'à ce
moment je n'étois point sortie.
Vous vous êtes servi de ma funeste
main
pour mettre à votre fils un poignard dans le sein.
De ses feux
innocents j'ai trahi le mystère;
et quand il n'en perdroit que l'amour de
son père,
il en mourra, seigneur. Ma foi ni mon amour
ne seront point le
prix d'un si cruel détour.
Après cela, jugez. Perdez une rebelle
;
armez-vous du pouvoir qu'on vous donna sur elle:
j'attendrai mon
arrêt; vous pouvez commander.
Tout ce qu'en vous quittant j'ose vous
demander,
croyez (à la vertu je dois cette justice)
que je vous trahis
seule, et n'ai point de complice;
et que d'un plein succès vos vux
seroient suivis
si j'en croyois, seigneur, les vux de votre fils.
ACTE IV , SCENE V .
Mithridate.
Elle me quitte! Et moi, dans
un lâche silence,
je semble de sa fuite approuver l'insolence?
Peu s'en
faut que mon cur, penchant de son côté,
ne me condamne encor de trop de
cruauté?
Qui suis-je? Est-ce Monime? Et suis-je Mithridate?
Non, non,
plus de pardon, plus d'amour pour l'ingrate.
Ma colère revient, et je me
reconnois.
Immolons, en partant, trois ingrats à la fois.
Je vais à Rome,
et c'est par de tels sacrifices
qu'il faut à ma fureur rendre les dieux
propices.
Je le dois, je le puis; ils n'
ont plus de suppport:
les plus séditieux sont déjà loin du bord.
Sans
distinguer entre eux qui je hais ou qui j'aime,
allons, et commençons par
Xipharès lui-même.
Mais quelle est ma fureur? Et qu'est-ce que je dis
?
Tu vas sacrifier... Qui? Malheureux! Ton fils?
Un fils que Rome
craint? Qui peut venger son père?
Pourquoi répandre un sang qui m'est si
nécessaire?
Ah! Dans l'état funeste où ma chute m'a mis,
est-ce que
mon malheur m'a laissé trop d'amis?
Songeons plutôt, songeons à gagner sa
tendresse:
j'ai besoin d'un vengeur, et non d'une maîtresse.
Quoi? Ne
vaut-il pas mieux, puisqu'il faut m'en priver,
la céder à ce fils que je
veux conserver?
Cédons-la. Vains efforts, qui ne font que m'
instruire
des foiblesses d'un cur qui cherche à se séduire!
Je brûle,
je l'adore; et loin de la bannir...
Ah! C'est un crime encor dont je la
veux punir.
Quelle pitié retient mes sentiments timides?
N'en ai-je pas
déjà puni de moins perfides?
Ô Monime! Ô mon fils! Inutile courroux!
Et vous, heureux Romains, quel
triomphe pour vous,
si vous saviez ma honte, et qu'un avis fidèle
de mes
lâches combats vous portât la nouvelle!
Quoi? Des plus chères mains
craignant les trahisons,
j'ai pris soin de m'armer contre tous les poisons
;
j'ai su, par une longue et pénible industrie,
des plus mortels venins
prévenir la furie.
Ah! Qu'il eût mieux valu, plus sage et plus
heureux,
et repoussant les traits d'un amour dangereux,
ne pas laisser
remplir d'ardeurs empoisonnées
un cur déjà glacé par le froid des années
!
De ce trouble fatal par où dois-je sortir?
ACTE IV , SCENE VI .
Arbate.
Seigneur, tous vos soldats
refusent de partir.
Pharnace les retient, Pharnace leur révèle
que vous cherchez à Rome une
guerre nouvelle.
Mithridate.
Pharnace?
Arbate.
Il a séduit ses
gardes les premiers;
et le seul nom de Rome étonne les plus fiers.
De
mille affreux périls ils se forment l'image.
Les uns avec transport
embrassent le rivage;
les autres, qui partoient, s'élancent dans les
flots,
ou présentent leurs dards aux yeux des matelots.
Le désordre est
partout; et loin de nous entendre,
ils demandent la paix, et parlent de se
rendre.
Pharnace est à leur tête; et flattant leurs souhaits,
de la part
des Romains il leur promet la paix.
Mithridate.
Ah! Le traître! Courez.
Qu'on appelle son frère;
qu'il me suive, qu'il vienne au secours de son
père.
Arbate.
J'ignore son dessein; mais un soudain transport
l'a
déjà fait descendre et courir vers le port;
et l'on dit que suivi d'un
gros d'amis fidèles,
on l'a vu se mêler au milieu des rebelles.
C'est
tout ce que j'en sais.
Mithridate.
Ah! Qu'est-ce que j'entends
?
Perfides, ma vengeance a tardé trop longtemps.
Mais je ne vous crains
point. Malgré leur insolence,
les mutins n'oseroient soutenir ma
présence.
Je ne veux que les voir; je ne veux qu'à leurs yeux
immoler de
ma main deux fils audacieux.
ACTE IV , SCENE VII .
Arcas.
Seigneur, tout est perdu. Les
rebelles, Pharnace,
les Romains sont en foule autour de cette
place.
Mithridate.
Les Romains!
Arcas.
De Romains le rivage est
chargé,
et bientôt dans ces murs vous êtes assiégé.
Mithridate.
(à Arcas.)
Ciel! Courons. écoutez... Du malheur qui me presse
tu ne jouiras
pas, infidèle princesse.
ACTE V , SCENE PREMIERE .
Phædime.
Madame, où courez-vous?
Quels aveugles transports
vous font tenter sur vous de criminels efforts
?
Hé quoi? Vous avez pu, trop cruelle à vous-même,
faire un affreux lien
d'un sacré diadème?
Ah! Ne voyez-vous pas que les dieux plus
humains
ont eux-mêmes rompu ce bandeau dans vos mains?
Monime.
Hé!
Par quelle fureur obstinée à me suivre,
toi-même, malgré moi, veux-tu me
faire vivre?
Xipharès ne vit plus. Le roi désespéré
lui-même n'attend
plus qu'un trépas assuré.
Quel fruit te promets-tu de ta coupable audace
?
Perfide, prétends-tu me livrer à Pharnace?
Phædime.
Ah! Du moins
attendez qu'un fidèle rapport
de son malheureux frère ait confirmé la
mort.
Dans la confusion que nous venons d'entendre,
les yeux peuvent-ils
pas aisément se méprendre?
D'abord, vous le savez, un bruit injurieux
le
rangeoit du parti d'un camp séditieux;
maintenant on vous dit que ces mêmes
rebelles
ont tourné contre lui leurs armes criminelles.
Jugez de l'un par
l'autre, et daignez écouter...
Monime.
Xipharès ne vit
plus, il n'en faut point douter.
L'événement n'a point démenti mon
attente.
Quand je n'en aurois pas la nouvelle sanglante,
il est mort; et
j'en ai pour garants trop certains
son courage et son nom trop suspects aux
Romains.
Ah! Que d'un si beau sang dès longtemps altérée
Rome tient
maintenant sa victoire assurée!
Quel ennemi son bras leur alloit opposer
!
Mais sur qui, malheureuse, oses-tu t'excuser?
Quoi? Tu ne veux pas
voir que c'est toi qui l'opprimes,
et dans tous ses malheurs reconnoître
tes crimes?
De combien d'assassins l'avois-je enveloppé!
Comment à
tant de coups seroit-il échappé?
Il évitoit en vain les Romains et son frère
:
ne le livrois-je pas aux fureurs de son père?
C'est moi qui les
rendant l'un de l'autre jaloux,
vins allumer le feu qui les embrase
tous,
tison de la discorde, et fatale furie,
que le démon de Rome a formée
et nourrie.
Et je vis? Et j'attends que de leur sang baigné,
Pharnace
des Romains revienne accompagné?
Qu'il étale à mes yeux sa parricide joie
?
La mort au désespoir ouvre plus d'une voie:
oui, cruelles, en vain vos
injustes secours
me ferment du tombeau les chemins les plus courts,
je
trouverai la mort jusque dans vos bras même.
Et toi, fatal tissu, malheureux
diadème,
instrument et témoin de toutes
mes douleurs,
bandeau, que mille fois j'ai trempé de mes pleurs,
au
moins, en terminant ma vie et mon supplice,
ne pouvois-tu me rendre un
funeste service?
à mes tristes regards, va, cesse de t'offrir:
d'
autres armes sans toi sauront me secourir;
et périsse le jour et la main
meurtrière
qui jadis sur mon front t'attacha la première
!
Phædime.
On vient, madame, on vient; et j'espère qu'Arcas,
pour
bannir vos frayeurs porte vers vous ses pas.
ACTE V , SCENE II .
Monime.
En est-ce fait, Arcas? Et le
cruel Pharnace...
Arcas.
Ne me demandez rien de tout ce qui se
passe,
madame: on m'a chargé d'un plus funeste emploi;
et ce poison
vous dit la volonté du roi.
Phædime.
Malheureuse princesse
!
Monime.
Ah! Quel comble de joie!
Donnez. Dites, Arcas, au roi qui
me l'envoie
que de tous les présents que m'a faits sa bonté,
je reçois
le plus cher et le plus souhaité.
à la fin je respire; et le ciel me
délivre
des secours importuns qui me forçoient de vivre.
Maîtresse de moi-même, il veut
bien qu'une fois
je puisse de mon sort disposer à mon
choix.
Phædime.
Hélas!
Monime.
Retiens tes cris; et par d'
indignes larmes,
de cet heureux moment ne trouble point les charmes.
Si tu
m'aimois, Phaedime, il falloit me pleurer
quand d'un titre funeste on me
vint honorer,
et lorsque m'arrachant du doux sein de la Grèce,
dans ce
climat barbare on traîna ta maîtresse.
Retourne maintenant chez ces peuples
heureux;
et si mon nom encor s'est conservé chez eux,
dis-leur ce que tu
vois; et de toute ma gloire,
Phaedime, conte-leur la malheureuse
histoire.
Et toi, qui de ce cur, dont tu fus adoré,
par un jaloux destin
fus toujours séparé,
héros, avec qui, même en terminant ma vie,
je n'ose
en un tombeau demander d'être unie,
reçois ce sacrifice; et puisse en ce
moment
ce poison expier le sang de mon amant!
ACTE V , SCENE III .
Arbate.
Arrêtez! Arrêtez!
Arcas.
Que faites-vous,
Arbate?
Arbate.
Arrêtez! J'accomplis l'ordre de
Mithridate.
Monime.
Ah! Laissez-moi...
Arbate, jetant le
poison.
Cessez, vous dis-je, et laissez-moi,
madame, exécuter les volontés
du roi.
Vivez. Et vous, Arcas, du succès de mon zèle
courez à Mithridate
apprendre la nouvelle.
ACTE V , SCENE IV .
Monime.
Ah! Trop cruel Arbate, à quoi m'
exposez-vous?
Est-ce qu'on croit encor mon supplice trop doux?
Et le
roi, m'enviant une mort si soudaine,
veut-il plus d'un trépas pour
contenter sa haine?
Arbate.
Vous l'allez voir paroître; et j'ose m'
assurer
que vous-même avec moi vous allez le pleurer.
Monime.
Quoi? Le
roi...
Arbate.
Le roi touche à son heure dernière,
madame, et ne voit
plus qu'un reste de lumière.
Je l'ai laissé sanglant, porté par des soldats
;
et Xipharès en pleurs accompagne leurs pas.
Monime.
Xipharès? Ah!
Grands dieux! Je doute si je veille,
et n'ose qu'en tremblant en croire
mon oreille.
Xipharès vit encor? Xipharès, que mes
pleurs...
Arbate.
Il vit chargé de gloire, accablé de douleurs.
De sa
mort en ces lieux la nouvelle semée
ne vous a pas vous seule et sans cause
alarmée.
Les Romains, qui partout l'appuyoient par des cris,
ont par ce
bruit fatal glacé tous les esprits.
Le roi, trompé lui-même, en a versé des
larmes;
et désormais certain du malheur de ses armes,
par un rebelle fils
de toutes parts pressé,
sans espoir de secours tout prêt d'être forcé,
et
voyant pour surcroît de douleur et de haine,
parmi ses étendards porter l'
aigle romaine,
il n'a plus aspiré qu'à s'ouvrir des chemins
pour éviter
l'affront de tomber dans leurs mains.
D'abord il a tenté les atteintes
mortelles
des poisons que lui-même a crus les plus fidèles;
il les a
trouvés tous sans force et sans vertu.
Vain secours, a-t-il dit, que j'ai trop combattu!
Contre tous les poisons soigneux de me défendre,
j'
ai perdu tout le fruit que j'en pouvois attendre.
Essayons maintenant des
secours plus certains,
et cherchons un trépas plus funeste aux Romains.
"
il parle; et défiant leurs nombreuses cohortes,
du palais, à ces mots,
il fait ouvrir les portes.
à l'aspect de ce front dont la noble
fureur
tant de fois dans leurs rangs répandit la terreur,
vous les eussiez
vus tous, retournant en arrière,
laisser entre eux et nous une large carrière
;
et déjà quelques-uns couroient épouvantés
jusque dans les vaisseaux qui
les ont apportés.
Mais, le dirai-je? Ô ciel! Rassurés par Pharnace,
et
la honte en leurs curs réveillant leur audace,
ils reprennent courage, ils
attaquent le roi,
qu'un reste de soldats défendoit avec moi.
Qui pourroit
exprimer par quels faits incroyables,
quels coups, accompagnés de regards
effroyables,
son bras, se signalant pour la dernière fois,
a de ce grand
héros terminé les exploits?
Enfin las, et couvert de sang et de
poussière,
il s'étoit fait de morts une noble barrière.
Un autre
bataillon s'est avancé vers nous;
les Romains, pour le joindre, ont
suspendu leurs coups.
Ils vouloient tous ensemble accabler
Mithridate.
Mais lui: C'en est assez, m'a-t-il dit, cher Arbate;
le
sang et la fureur m'emportent trop avant.
Ne livrons pas surtout
Mithridate vivant.
aussitôt dans son sein il plonge son épée.
Mais la
mort fuit encor sa grande âme trompée.
Ce héros dans mes bras est tombé tout
sanglant,
foible, et qui s'irritoit contre un trépas si lent;
et se
plaignant à moi de ce reste de vie,
il soulevoit encor sa main appesantie
;
et marquant à mon bras la place de son cur,
sembloit d'un coup plus
sûr implorer la faveur.
Tandis que possédé de ma douleur extrême,
je songe
bien plutôt à me percer moi-même,
de grands cris ont soudain attiré mes
regards.
J'ai vu, qui l'auroit cru? J'ai vu de toutes parts
vaincus et
renversés les Romains et Pharnace,
fuyant vers leurs vaisseaux, abandonner la
place;
et le vainqueur vers nous s'avançant de plus près,
à mes yeux
éperdus a montré Xipharès.
Monime.
Juste ciel!
Arbate.
Xipharès,
toujours resté fidèle,
et qu'au fort du combat une troupe rebelle,
par
ordre de son frère, avoit enveloppé,
mais qui d'entre leurs bras à la fin
échappé,
forçant les plus mutins, et regagnant le reste,
heureux et plein de joie en ce
moment funeste,
à travers mille morts, ardent, victorieux,
s'étoit fait
vers son père un chemin glorieux.
Jugez de quelle horreur cette joie est
suivie.
Son bras aux pieds du roi l'alloit jeter sans vie;
mais on
court, on s'oppose à son emportement.
Le roi m'a regardé dans ce triste
moment,
et m'a dit d'une voix qu'il poussoit avec peine:
S'il en est temps encor, cours, et sauve la reine.
ces mots m'ont fait trembler
pour vous, pour Xipharès:
j'ai craint, j'ai soupçonné quelques ordres
secrets.
Tout lassé que j'étois, ma frayeur et mon zèle
m'ont donné pour
courir une force nouvelle;
et malgré nos malheurs, je me tiens trop
heureux
d'avoir paré le coup qui vous perdoit tous deux.
Monime.
Ah!
Que de tant d'horreurs justement étonnée,
je plains de ce grand roi la
triste destinée!
Hélas! Et plût aux dieux qu'à son sort
inhumain
moi-même j'eusse pu ne point prêter la main,
et que simple
témoin du malheur qui l'accable,
je le pusse pleurer sans en être coupable
!
Il vient. Quel nouveau trouble excite en mes esprits
le sang du père, Ô
ciel! Et les larmes du fils!
ACTE V , SCENE V .
Monime.
Ah! Que vois-je, seigneur, et
quel sort est le vôtre!
Mithridate.
Cessez et
retenez vos larmes l'un et l'autre.
(en montrant Xipharès.)
mon sort de
sa tendresse et de votre amitié
veut d'autres sentiments que ceux de la
pitié;
et ma gloire, plutôt digne d'être admirée,
ne doit point par des
pleurs être déshonorée.
J'ai vengé l'univers autant que je l'ai pu:
la
mort dans ce projet m'a seule interrompu.
Ennemi des Romains et de la
tyrannie,
je n'ai point de leur joug subi l'ignominie;
et j'ose me
flatter qu'entre les noms fameux
qu'une pareille haine a signalés contre
eux,
nul ne leur a plus fait acheter la victoire,
ni de jours malheureux
plus rempli leur histoire.
Le ciel n'a pas voulu qu'achevant mon
dessein
Rome en cendre me vît expirer dans son sein.
Mais au moins quelque
joie en mourant me console:
j'expire environné d'ennemis que j'immole
;
dans leur sang odieux j'ai pu tremper mes mains,
et mes derniers
regards ont vu fuir les Romains.
à mon fils Xipharès je dois cette fortune
:
il épargne à ma mort leur présence importune.
Que ne puis-je payer ce service
important
de tout ce que mon trône eut de plus éclatant!
Mais vous me
tenez lieu d'empire, de couronne;
vous seule me restez: souffrez que je
vous donne,
madame; et tous ces vux que j'exigeois de vous,
mon cur
pour Xipharès vous les demande tous.
Monime.
Vivez, seigneur, vivez, pour
le bonheur du monde,
et pour sa liberté, qui sur vous seul se fonde
;
vivez pour triompher d'un ennemi vaincu,
pour
venger...
Mithridate.
C'en est fait, madame, et j'ai vécu.
Mon fils,
songez à vous. Gardez-vous de prétendre
que de tant d'ennemis vous puissiez
vous défendre.
Bientôt tous les Romains, de leur honte irrités,
viendront
ici sur vous fondre de tous côtés.
Ne perdez point le temps que vous laisse
leur fuite
à rendre à mon tombeau des soins dont je vous quitte.
Tant de
Romains sans vie, en cent lieux dispersés,
suffisent à ma cendre et l'
honorent assez.
Cachez-leur pour un temps vos noms et votre vie.
Allez,
réservez-vous...
Xipharès.
Moi, seigneur, que je fuie?
Que Pharnace
impuni, les Romains triomphants
n'éprouvent pas
bientôt...
Mithridate.
Non, je vous le défends.
Tôt ou tard il faudra
que Pharnace périsse.
Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice.
Mais je sens affoiblir ma force
et mes esprits.
Je sens que je me meurs. Approchez-vous, mon fils.
Dans
cet embrassement dont la douceur me flatte,
venez, et recevez l'âme de
Mithridate.
Monime.
Il expire.
Xipharès.
Ah! Madame,
unissons nos douleurs,
et par tout l'univers cherchons-lui des
vengeurs.
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